L'ennemi de Dieu
mon étoile à moi – en veillant à rester au
nord de la frontière dumnonienne, afin que tout concourût à faire croire à
Lancelot qu’Arthur ne menaçait pas le trône qu’il avait volé. Nimue nous
accompagnait. Merlin l’avait tant bien que mal persuadée de se laver et de
passer des habits propres, puis, désespérant de jamais parvenir à démêler ses
cheveux chargés d’immondices, il les lui avait coupés très court avant de
brûler ses tresses encrassées. Les cheveux courts lui allaient bien, elle
portait de nouveau un bandeau et tenait un bâton à la main, mais elle n’avait
voulu s’encombrer d’aucun autre bagage. Elle marchait pieds nus et à contrecœur
parce qu’elle ne voulait pas venir. Merlin l’avait convaincue même si elle
persistait à prétendre qu’elle perdait son temps avec nous. « Le premier imbécile
venu peut vaincre un magicien saxon, confia-t-elle à Arthur à la fin de notre
première journée de marche. Suffit de cracher sur eux, de rouler des yeux et d’agiter
un os de poulet. C’est tout.
— Nous ne
verrons pas le moindre magicien saxon », répondit calmement Arthur. Nous
étions en pleine campagne, maintenant, loin des villas. Il arrêta son cheval,
leva la main et attendit que les hommes fussent attroupés autour de lui. « Nous
ne verrons aucun magicien, nous expliqua-t-il, parce que nous n’allons pas voir
Aelle. Nous allons dans le sud, dans notre propre pays. Un long chemin dans le
sud.
— Vers la
mer ?
— Vers la
mer, me confirma-t-il avec un sourire en posant les mains sur sa selle. Nous
sommes peu nombreux, et Lancelot a de nombreuses troupes, mais Nimue peut nous
faire un charme de dissimulation, et nous marcherons de nuit. Nous forcerons le
pas. Tant que ma femme et mon fils sont prisonniers, reprit-il en haussant les
épaules, je ne puis rien faire. Si nous les libérons, je serai libre à mon tour.
Et quand je serai libre, je pourrai combattre Lancelot, mais vous devez savoir
que nous ne pouvons compter sur aucune aide au cœur de la Dumnonie, tombée
entre les mains de nos ennemis. Quand j’aurai retrouvé Guenièvre et Gwydre, je
ne sais comment nous pourrons nous échapper, mais Nimue nous aidera. Les Dieux
nous aideront, mais si l’un de vous a peur de la tâche qui l’attend, qu’il s’en
retourne maintenant. »
Personne n’en
fit rien. Il devait s’y attendre. Ces quarante étaient la fine fleur de nos hommes,
et ils auraient suivi Arthur jusque dans l’antre du serpent. Naturellement,
Arthur ne s’était ouvert de ses projets qu’à Merlin afin que rien n’en parvînt
aux oreilles de Lancelot. Il se tourna vers moi dans un geste de regret, comme
pour s’excuser de m’avoir dupé, mais il devait savoir combien j’étais satisfait :
car nous allions non seulement à l’endroit où Guenièvre et Gwydre étaient
retenus en otages, mais aussi là où les deux assassins de Dian se croyaient à l’abri
de toute vengeance.
« Nous
repartons cette nuit, fit Arthur. Et il n’y aura aucun repos avant l’aube. Nous
allons dans le sud et, au matin, je veux que nous soyons dans les collines,
au-delà de la Tamise. »
Quand chacun
eut passé son manteau par-dessus son armure et qu’on eut enveloppé les sabots
des chevaux de plusieurs couches de tissu, nous prîmes la route du sud. Les
cavaliers conduisaient leurs montures par les rênes. Étant donné son étrange
don pour retrouver son chemin dans les ténèbres à travers un pays inconnu,
Nimue marchait en tête.
Dans la nuit,
nous pénétrâmes en Dumnonie. Comme nous quittions les collines pour nous
enfoncer dans la vallée de la Tamise, nous aperçûmes au loin, sur notre droite,
une lueur dans le ciel : le signe que les hommes de Cerdic campaient devant
Corinium. Dès lors, notre chemin devait passer à travers des petits villages
plongés dans l’obscurité : les chiens aboyèrent, notre caravane passa sans
que personne ne nous posât de questions. Ou les habitants étaient morts ou ils
nous prenaient pour des Saxons, et nous continuions notre chemin telle une
bande de spectres. L’un des cavaliers d’Arthur était originaire de ces terres et
nous conduisit à un gué où l’eau nous montait jusqu’à la poitrine. Portant nos
armes et nos sacs à bout de bras, il nous fallut batailler contre le courant
pour rejoindre l’autre rive où Nimue siffla un charme de dissimulation en
direction du village voisin. À l’aube, nous étions dans les collines
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