L'ennemi de Dieu
Voilà ce qu’exige ton serment.
Tu vas te battre ! » Il tapa de nouveau du poing sur la table. « Il
n’est plus temps de réfléchir. Il faut se battre ! »
C’était assez.
Peut-être est-ce l’âme morte de ma fille qui me visita à cet instant, car
presque sans réfléchir je m’avançai et défis mon ceinturon. Je dégageai
Hywelbane, lançai mon épée à terre et pliai la lanière de cuir en deux. Mordred
me vit approcher et bredouilla une protestation, mais nul ne fit le moindre
geste pour me retenir.
Arrivé à
hauteur du roi, je m’arrêtai et le frappai en plein visage avec ma ceinture
pliée en deux : « Voilà pour ma fille et voici, fis-je en le frappant
encore plus fort, pour avoir manqué à votre serment de garder votre royaume. »
Les lanciers
beuglèrent leur approbation. La lèvre inférieure de Mordred tremblait, comme
lorsqu’enfant il recevait des raclées. Il avait les joues rougies par les coups
et un filet de sang se mit à perler sous son œil. Il porta un doigt à sa
blessure, puis me cracha en plein visage une bouchée de bœuf et de pain. « Tu
me le paieras de ta vie ! promit-il fou de rage en essayant de me gifler.
Comment pouvais-je défendre le royaume ? hurla-t-il. Vous n’étiez pas là !
Arthur n’était pas là. » Il essaya de me gifler une seconde fois, mais de
nouveau je parai le coup avec mon bras, puis brandis ma ceinture pour lui
administrer une nouvelle volée.
Horrifié de ma
conduite, Arthur retint mon bras et m’entraîna. Mordred suivit en agitant les
poings, mais un bâton noir s’abattit lourdement sur son bras. Il se retourna
furieux contre son nouvel assaillant.
Mais c’était
Merlin qui bravait maintenant le courroux du roi. « Frappe-moi, Mordred,
fit tranquillement le druide, et je te transforme en crapaud pour te donner en
pâture aux serpents d’Annwn. »
Mordred
dévisagea le druide, mais ne dit mot. Il essaya de repousser le bâton, mais
Merlin le tenait d’une main ferme et repoussa le jeune roi vers son siège :
« Dis-moi, Mordred, pourquoi avoir ainsi éloigné Arthur et Derfel ? »
Mordred hocha
la tête. Ce nouveau Merlin impérieux et dominateur l’effrayait. Il n’avait
jamais connu le druide que sous l’apparence d’un frêle vieillard qui se dorait
au soleil dans le jardin de Lindinis, et ce Merlin revigoré avec sa barbe bien
soignée et tressée le terrifiait.
« Pourquoi ?
demanda-t-il d’une voix douce quand l’écho de son coup se fut éteint.
— Pour
arrêter Ligessac, chuchota Mordred.
— Misérable
petit vermisseau. Un enfant aurait pu arrêter Ligessac. Pourquoi avoir envoyé
Arthur et Derfel ? »
Mordred se
contenta d’un hochement de tête.
Merlin soupira :
« Il y a longtemps, jeune Mordred, que je n’ai pas recouru à la grande
magie. Je suis sur la touche, mais je crois bien, avec l’aide de Nimue, pouvoir
transformer ta pisse en pus noir qui pique comme une guêpe chaque fois que tu
urineras. Je peux faire pourrir ta cervelle, ou ce qui en tient lieu, et je
puis réduire ta virilité aux dimensions d’un haricot sec, fit-il en braquant soudain
son bâton sur l’aine de Mordred. Voilà tout ce que je peux faire, Mordred, et
tout ce que je ferai à moins que tu ne me dises la vérité. »
Il sourit et
il y avait plus de menace dans ce sourire que dans le bâton en suspens.
« Dis-moi,
cher garçon, pourquoi as-tu envoyé Arthur et Derfel dans le camp de Cadoc ? »
La lèvre
inférieure de Mordred tremblait : « Parce que Sansum me l’a demandé.
— Le
Seigneur des Souris ! » s’exclama Merlin, comme surpris par la
réponse. Il sourit à nouveau, ou du moins laissa paraître ses dents. « J’ai
une autre question, Mordred, reprit-il, et si tu ne me dis pas la vérité,
Mordred, tes entrailles dégorgeront des crapauds visqueux, ton ventre sera un
nid de vers et ta gorge sera noyée dans leur bile. Je te ferai trembler sans
rémission et jusqu’à la fin de tes jours tu chieras des crapauds, la vermine te
rongera et tu seras secoué de frissons en crachant de la bile. » Il marqua
un temps de pause et baissa la voix : « Je te ferai encore plus
hideux que ta mère ne t’a fait. Alors, dis-moi, Mordred, que t’a promis le
Seigneur des Souris si tu éloignais Arthur et Derfel ? »
Mordred
terrorisé ne pouvait détacher les yeux du visage de Merlin.
Merlin
attendit. Aucune réponse ne venant, il leva son bâton vers le plafond de la
salle :
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