L'ennemi de Dieu
te
laisseront retourner en Dumnonie ? Tu crois que ces salauds ne vont pas te
construire un bûcher funéraire ? »
Meurig couina
à nouveau, mais Arthur le fit taire : « La ferveur des chrétiens va s’épuiser.
C’est comme une crise de folie : une fois passée, ils retourneront à leurs
moutons. Cerdic vaincu, Lancelot pourra pacifier la Dumnonie. Et moi, je
pourrai vivre en famille, et c’est tout ce que je désire. »
Appuyé au
dossier de sa chaise, Cuneglas regardait les restes de peinture romaine sur les
plafonds de la salle. Il se redressa et regarda Arthur droit dans les yeux :
« Redis-moi ce que tu veux, dit-il à voix basse.
— Je veux
que la paix règne parmi les Bretons, répondit Arthur patiemment. Je veux
refouler Cerdic et je veux ma famille. » Cuneglas se tourna alors vers
Merlin : « Eh bien, Seigneur ? » Merlin avait noué deux
tresses de sa barbe. Il nous regarda d’un air légèrement ahuri et s’empressa de
démêler ses tresses : « Je doute que les Dieux veuillent ce que
désire Arthur. Vous oubliez tous le Chaudron.
— Cela n’a
rien à voir avec le Chaudron, répliqua Arthur d’un ton ferme.
— Tout a
à voir avec le Chaudron, dit Merlin avec une rudesse aussi soudaine que
surprenante, et le Chaudron engendre le chaos. Tu désires l’ordre, Arthur, et
tu crois que Lancelot écoutera tes raisons, que Cerdic se soumettra à ton épée,
mais ton ordre raisonnable ne s’imposera pas plus à l’avenir qu’il ne s’est
imposé dans le passé. Penses-tu vraiment que les hommes et les femmes de ce
pays t’ont su gré de leur apporter la paix ? Ils se sont lassés de ta paix
et ont fomenté des troubles pour tromper leur ennui. Les hommes ne veulent pas
la paix, Arthur, ils veulent s’arracher à leur train-train, quand toi tu
désires couler des jours tranquilles comme un homme assoiffé cherche l’hydromel.
Toutes tes raisons ne vaincront pas les Dieux, et les Dieux y veilleront. Tu
crois pouvoir te réfugier dans une ferme et jouer au forgeron ? Non. »
Merlin eut un
sourire mauvais et se saisit de son long bâton noir : « En ce moment
même, reprit-il, les Dieux te préparent des ennuis. » Il pointa son bâton
vers les portes d’entrée de la salle : « Voici les ennuis qui
commencent, Arthur ap Uther. »
Tout le monde
se retourna comme un seul homme. Galahad se tenait sur le pas de la porte. Il
portait sa cotte de mailles et son épée au flanc, mais il était crotté jusqu’à
la taille. Avec lui, se tenait une misérable tête de balais au pied-bot, avec
un nez épaté, un visage rond et une barbe en bataille.
Car Mordred
vivait encore.
*
La stupeur
nous imposa le silence. Mordred avança en clopinant, ses petits yeux trahissant
sa rancœur d’être si mal accueilli. Arthur regardait fixement son seigneur, et
je sus qu’il défaisait dans sa tête tous les plans mûrement réfléchis qu’il
venait de nous exposer. Il ne pouvait y avoir de paix raisonnable avec
Lancelot, car le seigneur d’Arthur vivait encore. La Dumnonie avait encore un
roi, et ce n’était pas Lancelot. C’était Mordred et Arthur lui était lié par
son serment.
Les hommes s’approchèrent
du roi pour venir aux nouvelles, brisant ainsi le silence. Galahad fit un pas
de côté pour m’embrasser : « Grâce à Dieu, tu es en vie, fit-il, avec
un évident soulagement auquel je répondis par un sourire.
— Tu
attends de moi que je te remercie d’avoir sauvé la vie de mon roi ?
— Il le
faut bien, puisqu’il n’en a rien fait. C’est une petite brute ingrate, fit
Galahad. Dieu sait pourquoi il vit quand tant de braves ont péri. Llywarch,
Bedwyr, Dagonet, Biaise. Tous morts. »
Il nommait
les guerriers d’Arthur tombés à Durnovarie. Certaines morts m’étaient déjà
connues, d’autres non, mais Galahad savait dans quelles circonstances ils
avaient péri. Il se trouvait à Durnovarie quand la rumeur de la mort de Mordred
avait poussé les chrétiens à l’émeute, mais Galahad jurait qu’il y avait des
lanciers parmi les émeutiers. Il pensait que des hommes de Lancelot s’étaient
infiltrés en ville déguisés en pèlerins qui se dirigeaient vers Ynys Wydryn et
que ces lanciers avaient conduit le massacre : « La plupart des
hommes d’Arthur étaient dans les tavernes, et on ne leur laissa guère de
chances. Quelques-uns ont survécu, mais Dieu seul sait où ils sont maintenant. »
Il fit le signe de la croix.
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