L'ennemi de Dieu
figure la plus resplendissante
de cette salle enfumée. Et sans doute attend-il votre venue. »
Diwrnach
savait-il que nous comptions suivre la Route de Ténèbre ? Ou était-ce
simple conjecture de Cadwallon ? Je crachai tout de même, histoire de nous
protéger tous du mal. Le solstice d’hiver approchait, la longue nuit de l’année
où la vie reflue, où l’espoir est mince, où les démons règnent en maîtres dans
les airs. Et à ce moment-là, nous serions sur la Route de Ténèbre.
Cadwallon nous
prenait pour des fous, Diwrnach nous attendait. Et chacun de s’envelopper dans
ses fourrures pour passer la nuit.
*
Le lendemain
matin, le soleil brillait, transformant les pics environnants en éblouissantes
pointes de blancheur qui nous blessaient les yeux. Le ciel était presque
dégagé, et un vent fort arrachait la neige du sol pour en faire des nuages de
particules scintillantes qui balayaient la terre blanche. Nous chargeâmes les
poneys et Cadwallon nous offrit à contrecœur une peau de mouton. Puis nous
prîmes la direction de la Route de Ténèbre, qui commençait juste au nord de
Caer Gei. C’était une route sans habitations, sans fermes, sans une âme pour
nous offrir un refuge. Rien qu’une route accidentée à travers la barrière de
montagnes sauvages qui protégeaient le cœur du pays de Cadwallon des
Bloodshields de Diwrnach. Deux poteaux marquaient le début de la route, et tous
deux étaient surmontés de crânes humains drapés de loques chargées de
chandelles de glace qui cliquetaient dans le vent. Les crânes regardaient vers
le nord, en direction de Diwrnach : deux talismans censés garder son mal
au-delà des montagnes. Je vis Merlin toucher une amulette de fer qu’il portait
autour du cou lorsque nous passâmes entre les crânes jumeaux et je me souvins
de sa redoutable promesse. Il commencerait de mourir à l’instant où nous arriverions
sur la Route de Ténèbre. Alors que nos bottes crissaient en écrasant la neige
immaculée, je sus que le serment de mort avait commencé son œuvre. Je l’observai
mais ne perçus aucun signe de détresse tout au long de ce jour que nous passâmes
à escalader les collines, à glisser sur la neige et à crapahuter dans un nuage
de buée. La nuit, nous trouvâmes refuge dans une cabane de berger abandonnée,
par chance encore pourvue d’une toiture de poutres et de chaume décomposé avec
laquelle nous fîmes un brasier qui scintilla faiblement dans la ténèbre
enneigée.
Le lendemain
matin, nous avions parcouru à peine quelques centaines de mètres quand une
corne retentit au-dessus de nous et dans notre dos. Chacun s’arrêta pour se
retourner. Portant la main à nos yeux, nous aperçûmes une rangée d’hommes au
sommet d’une colline que nous avions dévalée la veille au soir. Ils étaient
quinze, tous armés de boucliers, d’épées et de lances. Et quand ils virent que
nous les avions remarqués, ils se mirent à courir et à glisser, soulevant sur
leur passage de grands nuages de neige que le vent d’ouest emportait.
Sans attendre
aucun ordre de ma part, mes hommes se mirent en ligne, détachèrent leurs
boucliers et abaissèrent leurs lances pour former un mur de boucliers en
travers de la route. J’avais confié les responsabilités de Cavan à Issa, et d’une
grosse voix il les exhorta à tenir ferme. Mais il n’avait pas plutôt parlé que
je reconnus l’étrange emblème peint sur l’un des boucliers qui approchaient.
Une croix. Et à ma connaissance un seul homme portait ce symbole chrétien.
Galahad.
« Amis ! »
lançai-je à Issa avant de m’élancer. Je les voyais clairement maintenant :
ils faisaient tous partie de mes hommes restés en Silurie et contraints d’assurer
la garde du palais de Lancelot. Leurs boucliers portaient encore l’ours d’Arthur,
mais c’est Galahad qui les conduisait. Il faisait de grands gestes et lançait
des appels auxquels je répondis en criant, si bien qu’aucun de nous ne put
entendre un traître mot de ce que disait l’autre avant de tomber dans les bras
l’un de l’autre. « Seigneur Prince ! » m’exclamai-je, avant de
le serrer à nouveau dans mes bras, car de tous les amis que j’ai jamais eus en
ce monde, il était le meilleur.
Il avait les
cheveux blonds, et un visage aussi large et fort que celui de son demi-frère
Lancelot était étroit et délicat. Comme Arthur, il inspirait aussitôt confiance
et si tous les chrétiens avaient été
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