L'ennemi de Dieu
la plupart des orphelins et parfois
même quelques prisonniers. Mais il a un faible pour les filles. » Il
considéra Ceinwyn d’un air songeur. « Il aime les filles.
— Beaucoup
d’hommes partagent cet appétit, Seigneur Roi, répondit sèchement Ceinwyn.
— Mais
nul n’a un appétit comparable au sien, la prévint Cadwallon. Ses magiciens lui
ont dit qu’un homme armé d’un bouclier couvert de la peau tannée d’une vierge
sera invincible dans la bataille. » Il haussa les épaules. « Peux pas
dire que j’ai jamais essayé moi-même.
— Ainsi
donc, vous lui envoyez des enfants ? reprit Ceinwyn d’un ton accusateur.
— Vous
connaissez d’autres espèces de vierges ? rétorqua le roi.
— Nous le
croyons touché par les Dieux, reprit Byrthig, comme si cela expliquait l’appétit
de Diwrnach pour les esclaves vierges, car il paraît fou. Il a un œil rouge. »
Il s’arrêta pour broyer un morceau de mouton gris sur sa dent de devant. « Il
couvre ses boucliers de peau, poursuivit-il quand la viande ne fut plus qu’un
tissu, puis il les peint de sang. D’où le nom de Bloodshields que se donnent
ses hommes : les Boucliers de Sang. » Cadwallon fit le signe contre
le mal. « Et certains disent qu’il mange la chair des filles, poursuivit
Byrthig, mais nous n’en savons trop rien. Qui sait ce que font les fous ?
— Les
fous sont proches des Dieux », grommela Cadwallon. Il était manifestement
terrorisé par son voisin du nord, ce qui, me disais-je, n’avait rien d’étonnant.
« Certains
fous sont proches des Dieux, intervint Merlin. Pas tous.
— Diwrnach
si, l’avertit Cadwallon. Il fait ce qu’il veut, à qui il veut, et comme il lui
plaît, et les Dieux le préservent. » Une fois de plus, je me signai contre
le mal et me surpris à regretter la lointaine Dumnonie, avec ses tribunaux, ses
palais et ses longues routes romaines.
« Avec
deux cents lances, dit Merlin, vous pourriez bouter Diwrnach hors de Lleyn.
Vous pourriez le jeter à la mer.
— Nous
avons essayé une fois, expliqua Cadwallon, et cinquante de nos hommes sont
morts de dysenterie en une semaine. Cinquante autres frissonnaient dans leur
merde. Montés sur leur poney, ses guerriers hurlants nous encerclaient et profitaient
de la nuit pour faire pleuvoir sur nous leurs longues lances. Quand nous
atteignîmes Boduan, il n’y avait qu’un grand mur couvert de malheureuses
créatures moribondes et sanguinolentes qui hurlaient et se contorsionnaient à
leurs crochets. Aucun de mes hommes ne voulut escalader pareille horreur. Ni
moi, admit-il. Et si je l’avais fait ? Il se serait enfui à Ynys Mon et il
m’aurait fallu des jours et des semaines pour trouver des navires et lui donner
la chasse. Je n’ai ni le temps, ni les lanciers, ni l’or nécessaires pour jeter
Diwrnach à la mer, alors je lui donne des enfants. C’est moins cher. » Il
cria à une esclave de lui apporter de l’hydromel et posa un regard acide sur
Ceinwyn. « Donnez-la-lui, dit-il à Merlin, et il pourrait bien vous donner
le Chaudron.
— Je ne
lui donnerai rien pour le Chaudron, répliqua Merlin. Qui plus est, il ne sait
même pas que le Chaudron existe.
— Il
sait, intervint Byrthig. Toute la Bretagne sait pourquoi vous êtes dans le
nord. Et vous croyez peut-être que ces magiciens ne veulent pas découvrir le
Chaudron ? »
Merlin sourit.
« Envoyez vos lanciers avec moi, Seigneur Roi, et nous prendrons à la fois
le Chaudron et le Lleyn. »
Cadwallon
dédaigna la proposition. « Diwrnach apprend à avoir des relations de bon
voisinage. Je te laisserai traverser mes terres, car je crains ta malédiction
si je n’y consens point, mais aucun de mes hommes ne vous accompagnera, et
quand vos os seront enfouis dans les sables du Lleyn, j’expliquerai à Diwrnach
que je n’étais pour rien dans votre intrusion.
— Lui
direz-vous la route que nous allons suivre ? » demanda Merlin car
deux routes s’offraient à nous. L’une faisait le tour de la côte et c’était la
route habituelle du nord en hiver. L’autre était la Route de Ténèbre, que la
plupart des hommes jugeaient impraticable en hiver. Merlin avait espéré qu’en
suivant cette route nous pourrions surprendre Diwrnach et quitter Ynys Mon
avant même, ou presque, qu’il ne sût notre présence.
Cadwallon
sourit pour la première fois de la soirée. « Il sait déjà, répondit le
roi, avant de jeter un coup d’œil à Ceinwyn, la
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