L'ennemi de Dieu
épées. » Il frissonna.
Non qu’il craignît l’inimitié de Lancelot, mais parce qu’il avait froid. « Qui
sont ces soi-disant druides qu’il apprécie tout particulièrement ?
— Les
petits-fils de Tanaburs », répondit Galahad. Et je sentis une main glacée
s’insinuer autour de mon cœur. J’avais tué Tanaburs, et même si j’avais le
droit de lui prendre son âme, il fallait être un brave sot pour tuer un druide,
et la malédiction du moribond rôdait encore autour de moi.
Le lendemain,
notre progression fut laborieuse. Merlin ralentissait notre marche. Il avait
protesté qu’il allait bien et refusait toute aide, mais il trébuchait trop
souvent. Son visage était jaune et hagard, et il respirait par souffles brefs
et saccadés. Nous avions espéré franchir le dernier col à la tombée de la nuit,
mais nous étions encore en pleine escalade quand la lumière du jour commença à
pâlir. Toute l’après-midi la Route de Ténèbre avait serpenté à travers la
colline, mais c’était se moquer du monde que d’appeler route ce sentier
redoutable et caillouteux qui ne cessait de couper et de recouper un cours d’eau
gelé où la glace formait d’épaisses plaques suspendues aux corniches de
fréquentes petites chutes d’eau. Les poneys ne cessaient de glisser et parfois
refusaient carrément d’avancer. Il semblait que nous passions plus de temps à
les soutenir qu’à les guider, mais nous finîmes par atteindre le col lorsque
les dernières lueurs du jour disparurent à l’ouest. C’était exactement ce que j’avais
vu dans mon rêve frissonnant au sommet du Dolforwyn. C’était tout aussi lugubre
et froid, même si aucune goule noire ne barrait la Route de Ténèbre qui
descendait maintenant à pic vers l’étroite plaine côtière du Lleyn et
continuait au nord en direction de la côte.
Et au-delà de
cette côte, se trouvait Ynys Mon.
Je n’avais
jamais vu l’île bienheureuse. Toute ma vie, j’en avais entendu parler. J’en
savais l’ancienne puissance et déplorais sa destruction par les Romains au
cours de l’Année Noire. Mais je ne l’avais jamais vue, sauf en rêve. Et
maintenant, dans le crépuscule hivernal, elle ne ressemblait en rien à cette
charmante vision. Loin d’être ensoleillée, elle était ombragée par un nuage, en
sorte que la grande île paraissait sombre et menaçante. Les sombres reflets des
mares noires qui brisaient ses collines basses la rendaient d’autant plus
rébarbative. Toute trace de neige en avait pratiquement disparu, mais une mer
grise et misérable soulignait de blanc ses côtes rocheuses. Je tombai à genoux
à la vue de l’île. Comme tout le monde, sauf Galahad. Et encore. Même lui finit
par mettre un genou à terre en signe de respect. En tant que chrétien, il
rêvait parfois d’aller à Rome ou même jusqu’à la lointaine Jérusalem, si pareil
endroit existait vraiment. Mais Ynys Mon était notre Rome et notre Jérusalem,
et sa terre sainte était maintenant à portée de vue.
Nous étions
aussi maintenant au pays du Lleyn. Nous avions franchi la frontière que rien n’indiquait
et les quelques villages qu’on apercevait plus bas, dans la plaine côtière,
étaient le fief de Diwrnach. Les champs étaient recouverts d’une légère couche
de neige, la fumée s’élevait des habitations, mais rien d’humain ne semblait se
mouvoir dans ce sinistre espace. Et tous, je crois, nous nous demandions
comment nous allions rejoindre l’île. « Il y a des passeurs dans le
détroit », dit Merlin, comme lisant dans nos pensées. Lui seul y était
jamais allé, mais c’était il y a bien longtemps, et longtemps avant de
découvrir que le Chaudron existait encore. C’était au temps où Leodegan, le
père de Guenièvre, régnait sur ce pays, avant que les vaisseaux ébréchés de
Diwrnach ne vinssent d’Irlande pour chasser le roi et ses filles sans mère de
leur royaume. « Au matin, ajouta Merlin, nous rejoindrons la côte et
paierons nos passeurs. Lorsque Diwrnach apprendra que nous avons atteint son
pays, nous serons déjà partis.
— Il nous
suivra jusqu’à Ynys Mon, objecta Galahad nerveusement.
— Et nous
aurons de nouveau filé », fit Merlin. Il éternua. Il avait l’air gelé. Son
nez coulait, ses joues étaient pâles et, de temps à autre, il était pris de
frissons incontrôlables, mais il trouva au fond de sa poche, dans une petite
bourse de cuir, une poignée d’herbes en poudre qu’il
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