L'ennemi de Dieu
nous
fûmes au milieu du détroit, ils firent silence. Ils s’arrêtèrent et, dans
chaque bateau, l’un des hommes fit un geste en direction de la terre ferme.
Nous nous
retournâmes. Au départ, je ne vis que la ligne sombre de la côte sous la
silhouette noire et blanche des montagnes d’ardoise enneigées, puis j’aperçus
une chose noire loqueteuse qui s’agitait juste au-delà de la grève. C’était un
étendard : de simples bouts de chiffon noués à une hampe, mais aussitôt
après apparut une ligne de guerriers au-dessus de la rive du détroit. Ils se
moquaient de nous et le vent froid portait distinctement jusqu’à nous l’éclat
de leurs voix par-dessus le clapotis de la mer. Ils étaient tous montés sur des
poneys à longs poils et tous vêtus de chiffons noirs qui voletaient dans la
brise comme des pennons. Ils portaient des boucliers et ces lances de guerre
terriblement longues qu’affectionnent les Irlandais. Ni leurs boucliers ni leurs
lances ne m’effrayaient, mais leurs loques et leurs cheveux longs leur
donnaient un air sauvage qui me glaça les sangs. À moins que le frisson ne vînt
du grésil qui avait commencé à rider la surface grise de la mer.
Les cavaliers
noirs dépenaillés nous observèrent débarquer sur la côte d’Ynys Mon. Les
bateliers nous aidèrent à porter Merlin et les poneys sur le rivage, puis s’empressèrent
de remettre leurs embarcations à la mer.
« N’aurions-nous
pas dû garder les embarcations ici ? me demanda Galahad.
— Comment ?
Il aurait fallu diviser les hommes, certains pour garder les bateaux et d’autres
pour accompagner Ceinwyn et Nimue.
— Mais
comment allons-nous quitter l’île ?
— Avec le
Chaudron, répondis-je en faisant mienne la confiance de Nimue, tout sera possible. »
Je n’avais pas d’autre réponse à lui offrir et n’osais point lui dire la
vérité. La vérité était que je me sentais condamné. Comme si les malédictions
des anciens druides se congelaient aujourd’hui même autour de nos âmes.
Nous quittâmes
la grève pour nous diriger vers le nord. Des goélands tourbillonnaient autour
de nous en criant tandis que nous quittions les rochers pour nous enfoncer dans
une lande lugubre ça et là parsemée d’affleurements. Dans l’ancien temps, avant
que les Romains ne soient venus détruire Ynys Mon, la terre était couverte de
chênes sacrés parmi lesquels étaient célébrés les plus grands mystères de la
Bretagne. La nouvelle de ces rituels gouvernait les saisons en Bretagne, en
Irlande et même en Gaule, car c’est ici que les Dieux étaient venus sur terre,
ici que le lien entre l’homme et les Dieux avait été le plus fort avant que les
Romains ne le tranchent avec leur glaive. C’était une terre sainte, mais aussi
une terre difficile, car nous marchions depuis une heure lorsque nous tombâmes
sur une immense fondrière qui paraissait nous barrer l’accès à l’intérieur de l’île.
Nous longeâmes le bord du marécage à la recherche d’un chemin, mais il n’y en
avait aucun ; ainsi, lorsque la lumière commença à s’estomper, nous nous
servîmes de la hampe de nos lances pour découvrir le passage le plus ferme à
travers les touffes d’herbes hérissées et les zones de marécage qui nous
auraient aspirés. Nos jambes étaient maculées d’une boue qui gelait aussitôt
tandis que la neige fondue s’insinuait jusque dans nos fourrures. L’un des
poneys demeura cloué sur place, l’autre se mit à paniquer. Il nous fallut donc
décharger nos bêtes, nous partager les fardeaux restants puis les abandonner.
Nous eûmes
fort à faire, nous servant parfois de nos boucliers circulaires comme de
coracles pour porter nos fardeaux, mais inévitablement l’eau saumâtre passait
par-dessus les bords et nous obligeait à nous redresser. Le grésil se fit plus
dur et plus épais, fouetté par un vent fort qui aplatissait l’herbe des marais
et nous glaçait jusqu’aux os. Merlin criait des choses étranges et lançait sa
tête d’un côté à l’autre. Certains de mes hommes faiblissaient, victimes du
froid et de la malveillance des Dieux qui gouvernaient ce pays désolé.
Nimue fut la
première à atteindre l’autre rive. Elle bondit de touffe en touffe, nous
indiquant le chemin. Et lorsqu’elle eut finalement atteint la terre ferme elle
bondit pour nous montrer que nous serions bientôt en sécurité. Puis, l’espace
de quelques secondes, elle resta clouée sur place
Weitere Kostenlose Bücher