L'ennemi de Dieu
avant de pointer le bâton de
Merlin sur l’endroit d’où nous venions.
Nous
retournant, nous vîmes que les cavaliers noirs nous avaient suivis, sauf qu’ils
étaient maintenant plus nombreux. Toute une horde de Bloodshields dépenaillés
nous observaient depuis la rive. Leurs étendards en haillons flottaient
au-dessus d’eux ; et ils levèrent l’un d’eux en un geste ironique de salut
avant de diriger leurs poneys vers l’est. « Je n’aurais jamais dû t’entraîner
ici, dis-je à Ceinwyn.
— Ce n’est
pas toi qui m’y as entraînée, Derfel. Je suis venue de mon plein gré,
répondit-elle en passant un doigt ganté sur mon visage. Et nous repartirons de
la même façon, mon chéri. »
Au-delà d’une
petite crête, s’étendait un paysage de petits champs entre les grands marécages
et les soudains affleurements de la roche. Nous avions besoin d’un refuge pour
la nuit et nous le trouvâmes dans un village de huit maisons de pierres
entourées d’un mur de la hauteur d’une lance. L’endroit était désert, même s’il
était manifestement habité, car les maisonnettes étaient bien tenues et les
cendres étaient encore chaudes au toucher. Nous défîmes la toiture de l’une des
maisons, débitant les poutres en petits morceaux afin de faire un feu pour
Merlin, qui maintenant frissonnait et délirait. La garde postée, nous retirâmes
nos fourrures et essayâmes de sécher nos bottes trempées et nos jambières
toutes mouillées.
Puis, alors
que la toute dernière lueur du jour disparaissait du ciel gris, je grimpai sur
le mur pour scruter le paysage. Je ne vis rien.
Quatre des
nôtres montèrent la garde dans la première partie de la nuit, puis Galahad et
trois autres lanciers les remplacèrent sous la pluie, mais aucun de nous n’entendit
autre chose que le vent et le craquement du feu dans la cabane. Nous n’avions
rien vu, rien entendu, mais aux premières lueurs de l’aube, une tête de mouton
fraîchement égorgé gouttait le sang sur une partie du mur.
Dans un geste
de colère, Nimue la fit basculer de la crête du mur et hurla un défi à l’adresse
du ciel. Elle prit une pincée de poudre grise qu’elle répandit sur le sang
frais, après quoi elle frappa le mur avec le bâton de Merlin et nous assura que
la malveillance avait été trompée. Nous la crûmes parce que nous avions envie
de la croire, de même que nous voulions croire que Merlin n’était pas mourant.
Mais il était d’une pâleur mortelle, son souffle était faible et inaudible.
Nous essayâmes de le nourrir en lui réservant le dernier de nos pains, mais il
recracha maladroitement les miettes. « Nous devons trouver le Chaudron
aujourd’hui même, annonça calmement Nimue, avant qu’il ne meure. »
Rassemblant nos affaires, nos boucliers sur le dos et nos lances à la main,
nous la suivîmes vers le nord.
Nimue nous
conduisait. Merlin lui avait dit tout ce qu’il savait de l’île sacrée, et ce
savoir nous porta vers le nord toute la matinée. Les Bloodshields resurgirent
peu après que nous eûmes quitté notre refuge. Et maintenant que nous touchions
au but, ils s’enhardirent. Il y en avait toujours plus d’une vingtaine en vue
et parfois trois fois ce nombre. Ils formaient un vague cercle autour de nous,
mais prenaient grand soin de rester hors de portée de nos lances. Le grésil
avait cessé avec l’aube, ne laissant qu’un vent froid et humide qui faisait
ployer l’herbe de la lande et soulevait les lambeaux noirs des manteaux de nos
lugubres cavaliers.
C’est juste
après midi que nous arrivâmes à l’endroit que Nimue appelait Llyn Cerrig Bach.
Ce nom veut dire « lac de petites pierres », et c’était une sombre
nappe d’eau peu profonde entourée de fondrières. C’est ici, expliqua Nimue, que
les anciens Bretons tenaient leurs cérémonies les plus sacrées et ici aussi,
nous dit-elle, que notre quête allait commencer. Mais l’endroit paraissait bien
sinistre pour rechercher le plus grand trésor de la Bretagne. À l’ouest, s’étendait
un étroit goulet de mer peu profond au-delà duquel se trouvait une autre île ;
au sud et au nord, il n’y avait que des fermes et des rochers. Et à l’est se
dressait une toute petite colline escarpée couronnée d’un groupe de rochers
gris pareils à la vingtaine d’autres affleurements devant lesquels nous étions
passés depuis la matinée. Merlin gisait comme mort. Je dus m’agenouiller à côté
de lui et
Weitere Kostenlose Bücher