L'ennemi de Dieu
qu’eussent
jamais aménagés les Anciens. Merlin connaissait l’endroit. Il prétendait même y
avoir dormi des années plus tôt et il ordonna à trois de mes hommes de
repousser les pierres qui en bouchaient l’entrée située entre deux levées de terres
herbeuses qui faisaient penser à des cornes. L’un après l’autre, nous nous
glissâmes à quatre pattes jusqu’au centre du monticule.
C’était un
tumulus qu’ils avaient construit en entassant d’énormes rochers pour faire un
passage central donnant sur six chambres plus petites. Puis les Anciens avaient
couvert le couloir et les chambres de dalles de pierre avant de les ensevelir
sous la terre. Ils n’enterraient pas leurs morts comme nous, pas plus qu’ils ne
les abandonnaient à la terre froide comme les chrétiens. Ils les plaçaient dans
des chambres de pierre où ils reposent encore, chacun avec ses trésors :
des coupes de corne, des andouillers, des pointes de lance en pierre, des
couteaux de silex, un plat de bronze et un précieux collier de jais monté sur
un nerf en décomposition. Merlin nous demanda de ne pas déranger les morts, car
nous étions leurs hôtes. Laissant les chambres mortuaires en paix, toute la
compagnie se serra dans le passage central pour entonner des chansons et
raconter des histoires. Merlin nous raconta que les Anciens avaient été les
gardes de la Bretagne avant même l’arrivée des Bretons et ajouta qu’il était
des endroits où ils vivaient encore. Il était allé dans ses vallées perdues des
pays sauvages et s’était initié à leur magie. Il nous raconta qu’ils prenaient
le premier agneau de l’année, qu’ils lui nouaient les pattes avec des rameaux d’osier
et l’enterraient dans un pré afin de s’assurer que les autres agneaux naissent
sains et robustes.
« Nous le
faisons encore, dit Issa.
— Parce
que vos ancêtres l’ont appris des Anciens, observa Merlin.
— Au
royaume de Benoïc, ajouta Galahad, nous écorchions le premier agneau pour
clouer sa peau à un arbre.
— Cela
marche aussi. » La voix de Merlin résonnait dans le passage sombre et
froid.
« Pauvres
agneaux ! » fit Ceinwyn. Et tout le monde s’esclaffa.
Le brouillard
finit par se lever, mais au cœur du tumulus nous n’avions guère de notion du
jour ou de la nuit, sauf lorsque nous débarrassions l’entrée pour permettre à
quelques-uns d’entre nous de se glisser dehors. Il fallait bien s’y résoudre de
temps à autre pour éviter de croupir dans nos excréments. S’il faisait jour,
nous nous cachions entre les cornes du tumulus pour observer les cavaliers
noirs passer au peigne fin les champs, les grottes, les landes, les rochers,
les cabanes et les petits bois d’arbres courbés par le vent. Ils poursuivirent
leurs recherches cinq jours durant au cours desquels il nous fallut manger nos
dernières provisions et boire l’eau qui suintait à travers le tumulus. Mais
Diwrnach finit par conclure que notre magie était supérieure à la sienne et
abandonna les recherches. Nous attendîmes encore deux jours pour nous assurer
qu’il n’essayait pas de nous faire sortir de notre cachette, et enfin nous repartîmes.
Nous ajoutâmes de l’or aux trésors des morts pour nous acquitter de notre loyer
et, après avoir rebouché l’entrée derrière nous, nous avançâmes vers l’est sous
un soleil hivernal. Une fois sur la côte, nous nous servîmes de nos épées pour
réquisitionner deux bateaux de pêche et quitter l’île sacrée. Nous fîmes voile
vers l’est et, aussi longtemps que je vivrai, je me souviendrai du reflet du
soleil sur les ornements dorés du Chaudron et sur son épaisse panse d’argent
tandis que les voiles loqueteuses nous conduisaient en lieu sûr. Nous chantâmes
le Chant du Chaudron. Il arrive qu’on le chante encore aujourd’hui, bien qu’il
fasse pâle figure en comparaison des chants des bardes. Nous débarquâmes à
Cornovie pour traverser l’Elmet et rejoindre le Powys.
« Voilà,
ma Dame, conclus-je, voilà pourquoi toutes les fables assurent que Merlin s’est
évanoui. »
Igraine fronça
les sourcils.
« Les
guerriers noirs n’ont-ils pas cherché du côté du tumulus ?
— Par
deux fois, mais ils ne savaient pas qu’on pouvait débarrasser l’entrée, ou l’esprit
des morts les aura effrayés. Et, naturellement, Merlin nous avait jeté un
charme de dissimulation.
— J’aurais
préféré que vous vous soyez envolés, grommela-t-elle. Ça
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