L'ennemi de Dieu
l’un des poteaux
de la tente.
« Vous
marchez demain ?
— Oui,
Seigneur.
— Dînez
donc avec moi ce soir, dit-il en m’entraînant dehors et en jetant un coup d’œil
sur le ciel. Ce sera un été sec, Seigneur Derfel. Un été pour tuer les Saxons.
— Un été
pour faire naître de grandes épopées, fis-je avec enthousiasme.
— Je me
dis souvent que notre problème à nous, Bretons, ajouta Agricola d’un air
lugubre, c’est que nous passons beaucoup trop de temps à chanter et pas
suffisamment à tuer des Saxons.
— Pas
cette année, dis-je, pas cette année ! » Car c’était l’année d’Arthur,
l’année de massacrer les Saïs. Et je priais le ciel que ce fût l’année de la
victoire totale.
*
Sortis de
Magnis, nous suivîmes les voies romaines qui quadrillaient le cœur de la
Bretagne. Nous marchâmes d’un bon pas et atteignîmes Corinium en tout juste
deux jours. Nous étions tous ravis d’être à nouveau en Dumnonie. L’étoile à
cinq pointes de mon bouclier était peut-être un étrange emblème, mais dès l’instant
où les campagnards entendaient mon nom, ils tombaient à genoux pour recevoir ma
bénédiction. Car j’étais Derfel Cadarn, celui qui avait tenu Lugg Vale, un
Guerrier du Chaudron. Et ma réputation, à ce qu’il semblait, était au zénith
dans mon pays. Au moins parmi les païens. Dans les villes et les grands
villages, où les chrétiens étaient les plus nombreux, nous avions plus de
chances d’être accueillis par des prêches. On nous expliquait alors que nous
marchions pour accomplir la volonté de Dieu en combattant les Saxons, mais que
si nous mourions nos âmes iraient en Enfer si nous persistions à adorer les
dieux d’antan.
Je redoutais
les Saxons plus que l’Enfer des chrétiens. Les Saïs étaient de redoutables
ennemis : pauvres, aux abois et nombreux. À Corinium, les nouvelles
étaient inquiétantes : on parlait de nouveaux vaisseaux qui arrivaient
presque tous les jours sur les côtes est de la Bretagne avec leurs cargaisons
de brutes guerrières et leurs familles faméliques. Les envahisseurs voulaient
notre terre et, pour s’en emparer, ils pouvaient mobiliser des centaines de
lances, d’épées et de haches à double tranchant. Mais nous gardions confiance.
Nous étions assez sots pour entrer dans la guerre presque avec allégresse.
Après les horreurs de la guerre, nous nous croyions invincibles. Nous étions
forts, nous étions jeunes et aimés des Dieux. Et nous avions Arthur.
Je retrouvai
Galahad à Corinium. Nos chemins s’étaient séparés au Powys, car il avait aidé
Merlin à rapatrier le Chaudron à Ynys Wydryn, puis il avait passé le printemps
à Caer Ambra, profitant de sa forteresse reconstruite pour faire des incursions
au cœur du pays de Llœgyr avec les troupes de Sagramor. Les Saxons, me
prévint-il, nous attendaient. Ils avaient disposé des tours de feu d’alarme sur
chaque colline afin de suivre notre approche. Galahad était venu à Corinium
pour le Grand Conseil de guerre qu’Arthur avait convoqué, et il avait amené
avec lui Cavan et ceux de mes hommes qui n’avaient pas voulu marcher dans le
nord, au pays du Lleyn. Cavan posa un genou à terre et demanda que ses hommes
et lui pussent renouveler leurs serments envers moi.
« Nous n’avons
fait aucun autre serment, me promit-il, sauf envers Arthur, et il dit que nous
devrions vous servir, si vous voulez bien de nous.
— Je me
disais que tu devais être riche, Cavan, et que tu serais retourné dans ton
pays, en Irlande. »
Il sourit. « J’ai
encore ma planche, Seigneur. »
Je le repris
de bon cœur à mon service. Il embrassa la lame d’Hywelbane, puis il me demanda
si ses hommes et lui pouvaient peindre l’étoile blanche sur leurs boucliers.
« Tu le
peux, fis-je, mais avec quatre branches seulement.
— Quatre,
Seigneur ? demanda-t-il en jetant un œil sur mon bouclier. Le vôtre en a
cinq.
— La
cinquième, lui expliquai-je, est réservée aux Guerriers du Chaudron. » Il
prit un air piteux, mais consentit. Au demeurant, Arthur ne m’aurait pas
approuvé, car il aurait vu, à juste raison, dans la cinquième branche un signe
de division marquant la supériorité d’un groupe sur un autre. Mais les
guerriers aiment les distinctions de ce genre et les hommes qui avaient bravé
la Route de Ténèbre l’avaient bien méritée.
J’allai saluer
les hommes qui accompagnaient Cavan et avaient installé leur
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