L'enquête russe
du regard le cabinet de la méridienne dont les travaux d’aménagement venaient de s’achever. Il admirait la perfection des détails. La reine l’observait.
— À quoi rêvez-vous, monsieur le marquis ?
— Je demande pardon à Votre Majesté. Je demeure sans voix devant l’ornement sculpté des lambris, prolongé sur les panneaux vitrés des portes par des branches de roses d’une exquise élégance.
— Voilà un muet disert et un amateur éloquent ! s’écria-t-elle avec un rien d’ironie, travers dont elle avait du mal à se déprendre. À l’occasion, je ne manquerai pas de vous demander conseil.
Prostré de dévotion, M. de Séqueville, introducteur des ambassadeurs, tendit des papiers à Marie-Antoinette. Elle les examina en silence. Il apparaissait incongru à Nicolas, qui pourtant dans ce domaine en avait vu d’autres, que cette réunion se tînt chez la reine et qu’il lui revînt de décider des égards et des manifestations qui seraient prodigués et organisés pour les Russes. Cela édifiait et donnait quelque idée de l’influence accrue de celle qui venait de donner un dauphin à la France. D’autant que M. de Maurepas disparu, le roi n’avait pas changé sa vie et ses habitudes. La cour s’était mise en ébullition, conjecturant sur le choix d’un successeur au mentor . Il n’en fut rien et le roi gouverna par lui-même, sans qu’on pût pénétrer s’il consultait quelqu’un. Restait que la reine demeurait influente pour les grâces de cour et les emplois depuis le ministère jusqu’à la place de commis des barrières. Mais en octroyant une faveur, elle faisait un ingrat et vingt mécontents.
M. Hennin, premier commis des Affaires étrangères, qui représentait son ministre, toussa, attirant l’attention de Marie-Antoinette, qui l’interrogea du regard.
— Madame, Votre Majesté n’ignore pas, murmura-t-il en sourdine, que nous redoutons que l’impératrice ne se mêle, au détriment des intérêts de la couronne, des tentatives de médiation dans la guerre avec l’Angleterre.
— Et le prince Paul dans tout cela ?
Cette question demeura sans réponse. Une dame du palais venait d’entrer et annonçait l’arrivée non prévue de Vergennes. L’attention de Nicolas flottait, occupée à suivre du regard les volutes d’un bronze. Il éprouva cependant un imperceptible changement dans les attitudes et il se mit en mesure d’observer le jeu de scène en vieil habitué de ce pays-ci. Le premier mouvement fut celui du commis qui recula jusqu’à la muraille autant que le permettait l’exiguïté de la pièce, comme s’il avait voulu s’y fondre. M. de la Ferté se tassa sur lui-même et plongea le nez dans ses papiers. La reine eut un mouvement de tête, fit la moue et se mordit la lèvre inférieure. Il sembla à Nicolas que cette venue la contrariait. Était-elle si dépitée de voir survenir une autorité qui changerait l’ordre de cette réunion ? Vergennes entra et s’inclina. Sa corpulence sembla emplir le salon, établissant aussitôt une prépotence marquée.
— Madame, dit-il, sans préambule. Daigne Votre Majesté m’autoriser à répondre à une question que j’ai saisie au vol.
— Je vous y convie, monsieur. Éclairez-nous de vos lumières, qui sont grandes. Le roi me l’assure chaque jour.
— Au préalable, j’ai le triste devoir d’annoncer à Votre Majesté les revers de notre flotte au large de la Martinique. Le roi vient d’en recevoir la nouvelle encore confidentielle. Le comte de Grasse a été fait prisonnier par l’amiral Rodney. Le Ville de Paris a été pris avec quatre vaisseaux de ligne. Les pertes se montent à trois mille hommes…
La voix du ministre se brisa.
— … Ainsi cela crée les circonstances les moins favorables pour l’arrivée des Russes. Si l’on peut supposer que le prince Paul n’a pas, à coup sûr, l’influence la plus avérée à la cour de Russie, et encore moins auprès de son impériale mère, il demeure toutefois que sa présence et la satisfaction qu’il éprouvera des égards à lui réservés pèseront lourd dans la conjoncture présente. Le sort des conversations en cours, des plus secrètes dois-je le préciser…
Il s’arrêta et jeta un regard sévère sur l’assistance que son propos avait jetée dans la consternation.
— … en dépend peut-être. Nul ne sait ce qu’un jour osera décider le grand-duc. Il a marqué à Vienne son opposition à Potemkine,
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