L'enquête russe
affirmant à qui voulait l’entendre qu’il le casserait et le chasserait dès qu’il serait en état de le faire ! Qu’il comprenne que nous ne faisons aucun obstacle au succès de la médiation impériale entre l’Angleterre et la Hollande et que nous sommes fâchés que la partialité des ministres russes pour l’Angleterre excède les bornes qu’un médiateur ne peut outrepasser et qu’elle établisse un préjugé contre les assurances des sentiments contraires qui nous ont été si souvent données.
— Et donc ? dit la reine avec un rien d’ironie qui détonnait dans ces circonstances.
— Et donc, Madame, convient-il de mesurer et de proportionner avec circonspection les conditions de l’accueil qui sera réservé au comte et à la comtesse du Nord. En un mot, il faut se le concilier, et par tous les moyens.
D’évidence la reine ne paraissait guère heureuse de cette perspective. Elle hocha la tête avant de reprendre la parole :
— Il me revient par ma sœur de Naples 5 que ce comte du Nord est un sauvage. Il a, à tout propos, multiplié les changements de résolution et n’a pas répondu tout à fait aux attentions délicates du roi et de la reine. Imaginez, monsieur, la scène qu’elle m’a contée…
Vergennes ouvrit la bouche, sans doute, pensa Nicolas qui observait la scène avec amusement, pour tempérer la reine et lui conseiller la discrétion. Ce fut en vain.
— … elle en dit long sur la nature du personnage. Ne s’est-il pas précipité sur un gentilhomme russe l’épée à la main en l’abreuvant d’injures ?
Vergennes, qui s’était rapproché de Nicolas, lui parla à l’oreille.
— Razoumovski, qui a le mérite, si j’ose dire, d’être l’amant de Marie-Caroline et l’ancien de la grande-duchesse Nathalie, la première femme du prince ! Elle faisait, dit-on, absorber à Paul, chaque soir, un peu d’opium pour favoriser ses infidélités. Le pauvre homme, on peut comprendre son irritation !
— Comment ? dit la reine.
— Je confiais au marquis que le prince est un ressort compressé qui a besoin de temps à autre d’une détente.
— Qu’il retrouve son calme et se détende ailleurs que chez nous !
— Nous écoutons les ordres de la reine.
— Nous songeons à un opéra. L ’Iphigénie en Aulide conviendrait, je pense. Ainsi qu’une pièce, Athalie , avec chœur et grand bal paré. J’y tiens essentiellement et désire sur ce dernier point…
Le ton était impérieux.
— … que la cour soit brillante, fastueuse même,en hommes et en femmes. Il faut montrer à ces gens ce que nous sommes. Pour les hommes, il est essentiel de savoir de bonne heure le moment précis de l’arrivée du prince Paul. Si c’est à la fin de ce mois, rien de plus aisé puisqu’il ne s’agira que de retarder le départ des colonels. Si c’est plus tard, ce sera plus difficile, beaucoup de militaires ayant regagné leurs garnisons. Aussi, tâchez de faire insinuer que la fin mai me serait la période la plus agréable. Ah ! Ranreuil, faites passer à son colonel que la reine souhaite que le vicomte de Tréhiguier paraisse à notre bal. J’en parlerai à mon frère Provence.
Voilà une faveur de taille pour un lieutenant, se dit Nicolas. Et qui va faire événement. Gast, je m’en serais bien dispensé ! Enfin, ainsi je verrai Louis. Il s’inclina en silence.
— Séqueville, qu’en est-il du logis ?
— Pour la première question, ce sera sans doute début juin, le comte viendra par Lyon après un séjour à la cour de Savoie. Les logis les plus superbes leur ont été proposés un peu partout. Les Russes n’en ont accepté nulle part. Point de difficultés, d’ailleurs, ils se contentent d’hôtels garnis au hasard. Nos postes ont approché la suite du prince pour prévenir qu’à Paris il y a peu d’hôtels garnis disponibles pourvus d’appartements susceptibles d’accueillir le prince. Enfin, le prince a les entrailles fragiles et susceptibles de dévoiements fréquents, aussi ne se nourrit-il que de compotes et d’eau de Seltz. Que Sa Majesté veuille bien excuser cette évocation…
— Fi ! Voilà bien des difficultés ! Nous aviserons.
— Que Votre Majesté se rassure, dit Vergennes. Le comte et la comtesse pourront toujours habiter chez leur ministre à Paris, à l’Hôtel de Lévi, ruede Grammont. Je m’en ouvrirai au prince Bariatinski.
— Quant au protocole, reprit Séqueville après un hochement
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