L'envol du faucon
retourna vers ses hommes. « Je ne reste pas ici. Partons, les gars ! » Certains se remirent à ramer tandis que d'autres hésitaient. Ils regardèrent vers le golfe, scrutant l'eau en quête de pirogues indigènes, mais un promontoire, juste devant eux, leur bouchait la vue.
« On peut y arriver, les gars, dit Jamieson d'un ton encourageant. Vous venez, Davenport ?
— Non, merci, je vais tenter ma chance à terre. »
Bon débarras, se dit Jamieson. « Allez, les gars, on y va ! »
Davenport regagna le rivage à pied, résolu à trouver un moyen de rejoindre les éléphants. Il avançait laborieusement à travers les marais, surveillant les crocodiles du coin de l'œil, et finit par émerger sur la terre ferme. Il grimpa sur une haute dune et se retourna pour observer la progression de Jamieson. A présent, la lumière était beaucoup plus intense ; de sa position avantageuse, il avait une bonne vue sur le golfe. Il blêmit : derrière le petit promontoire se trouvaient une vingtaine de pirogues indigènes. Jamieson n'avait aucune chance. Il resta figé sur place, n'osant prévenir jusqu'à ce que des voix, derrière lui, l'obligent à se baisser subitement. Le visage dans le sable, il respirait à grand-peine. Les voix se rapprochèrent puis s'estompèrent peu à peu. Il resta encore un certain temps immobile. Quand il se releva, il n'y avait plus trace des hommes de Jamieson. Seules quelques chaloupes retournées flottaient au vent. Il frissonna.
Il scruta une fois de plus le golfe. Au loin, un peu à tribord du Curtana et du Résolution, il y avait un troisième vaisseau. C'était un grand bâtiment de guerre, et à son profil il vit qu'il n'était pas anglais. Il se remit en route en pressant le pas. Plus vite il retrouverait Ivatt, mieux ce serait.
Ivatt, assis bien droit dans son hoddah orné de sculptures, contemplait la scène de dévastation. Son cœur se serra. Où qu'il regardât, il voyait les ruines calcinées de dizaines de maisons. Que s'était-il donc passé ? Il considéra la colline où vivait White. Sa demeure avait tout bonnement disparu. Ses yeux s'aventurèrent plus haut. La maison de Burnaby aussi. Il fut pris de nausée. Le long de la colline, il n'y avait que des poches vides, carbonisées. Seul le devant du port semblait avoir été épargné. Les entrepôts sur le quai étaient intacts et les étals de nourriture, avec leur toit de fortune, étaient toujours là. Il était arrivé la veille, au crépuscule, trop tard pour remarquer quoi que ce fût d'inhabituel, et avait campé derrière la crête des collines en attendant l'aube.
Comme le soleil se levait derrière lui et qu'il pouvait voir plus loin, il fixa l'océan miroitant. Le port grouillait de pirogues. Il vit une vingtaine d'entre elles intercepter quatre embarcations, qui paraissaient se diriger vers la mer, et s'attaquer à leurs occupants. Que se passait-il ? Un terrible pressentiment s'empara de lui. Les pirogues étaient d'un modèle indigène tandis que les embarcations étaient du type utilisé par les Européens.
Il aperçut le Résolution au loin. Impossible de ne pas reconnaître ses hauts mâts et sa poupe bien arrondie. Près de lui, était mouillé un autre trois-mâts, presque aussi grand. Mais un vrai colosse se trouvait à une certaine distance à tribord des deux vaisseaux. Son cœur battit plus vite lorsqu'il reconnut ses courbes élancées. C'était un vaisseau français. Vaudricourt était arrivé. Soudain, il comprit la situation. Bien sûr ! C'était le bâtiment de guerre qui avait dévasté les coteaux de Mergui. Il avait sans doute arrêté de tirer au crépuscule. Les coups de canon reprendraient à l'aube. Etrange, pourtant, qu'il n'eût pas entendu tirer. Peut-être la chose ne s'était-elle pas passée la veille mais le jour précédent et la ville s'était-elle déjà rendue. De toute façon, il n'y avait pas de temps à perdre.
Il parla vite à son mahout qui donna un coup de crochet acéré à son éléphant. L'énorme bête fit pesamment demi-tour et avança sur la crête de la colline. A mesure qu'il passait dans les rangs, Ivatt distribuait des ordres. Il fallait amener les canons à l'avant et les préparer à entrer en action immédiatement. Dieu merci ! Dularic et ses bombardiers étaient retournés à Tenasserim la nuit précédente. Ils avaient fait du bon travail. Seuls trois des canons avaient dû être abandonnés au cours de la difficile traversée de la jungle, et ils avaient
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