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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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du Jugement. »
    Sa main balaya l’air d’un geste ample.
    « À présent, des confins de la Perse aux
côtes du Maghreb, de Belgrade au Yémen heureux, il y a un seul empire musulman,
dont le maître m’honore de sa confiance et de sa bienveillance. »
    Il enchaîna, avec un accent de reproche non
déguisé :
    « Et toi, qu’as-tu fait toutes ces
années ? Est-il vrai que tu es à présent un haut personnage de la cour du
pape ? »
    Je repris à dessein sa propre formule :
    « Sa Sainteté m’honore de sa confiance et de
sa bienveillance. »
    Je jugeai bon d’ajouter, en appuyant sur chaque
mot :
    « Et c’est pour te rencontrer qu’il m’a
dépêché ici. Il voudrait qu’un contact s’établisse entre Rome et
Constantinople. »
    Si j’attendais quelque excitation, quelque joie,
quelque surprise, à cette annonce fort officielle, je fus profondément dépité.
Haroun eut subitement l’air préoccupé par une tache de boue sur le revers de sa
manche bouffante. Ayant frotté et soufflé dessus pour effacer toute trace, il
daigna prononcer, avec un accent de pieuse frivolité :
    « Entre Rome et Constantinople, me
dis-tu ? Et dans quel but ?
    — Pour la paix. Ne serait-il pas merveilleux
que, tout autour de la Méditerranée, chrétiens et musulmans puissent vivre et
commercer ensemble sans guerre ni piraterie, que je puisse aller d’Alexandrie à
Tunis avec ma famille sans me faire enlever par quelque Sicilien ? »
    De nouveau, cette tache tenace sur sa manche. Il
la frotta de plus belle, l’épousseta énergiquement, avant de m’adresser un
regard sans complaisance :
    « Écoute-moi, Hassan ! Si tu veux
évoquer notre amitié, nos années d’école, notre famille, le prochain mariage de
mon fils et de ta fille, parlons-nous tranquillement autour d’une table garnie,
et, par Dieu, je goûterai cet instant-là plus qu’aucun autre. Mais si tu es l’envoyé
du pape et moi celui du sultan, alors, discutons autrement ! »
    Je tentai de me défendre :
    « Que me reproches-tu ? Je n’ai parlé
que de paix. N’est-il pas normal que les religions du Livre cessent de se
massacrer ? »
    Il m’interrompit :
    « Sache qu’entre Constantinople et Rome,
entre Constantinople et Paris, c’est la Foi qui divise et l’intérêt, noble ou
vil, qui rapproche. Ne me parle ni de paix ni de Livre, car ce n’est pas de
cela qu’il s’agit, et ce n’est pas à cela que pensent nos maîtres. »
    Depuis que nous étions enfants, je n’avais jamais
pu soutenir une discussion face au Furet. Ma réponse avait l’accent d’une
capitulation :
    « Je vois tout de même un intérêt commun
entre ton maître et le mien : ni l’un ni l’autre ne voudrait voir l’empire
de Charles Quint s’étendre sur toute l’Europe, ni sur la Berbérie ! »
    Haroun sourit.
    « Maintenant que nous parlons le même
langage, je puis te dire ce que je viens faire ici. J’apporte au roi des
cadeaux, des promesses, et même une centaine de cavaliers valeureux qui se
battront à ses côtés. Notre combat est le même : sais-tu que les troupes
de François viennent de capturer Ugo de Moncada, l’homme que j’ai moi-même
défait devant Alger après la mort d’Arouj ? Sais-tu que notre flotte a
reçu l’ordre d’intervenir si les Impériaux tentaient à nouveau de prendre
Marseille ? Mon maître est décidé à sceller l’alliance avec le roi
François, et, dans ce but, il multipliera les gestes d’amitié.
    — Pourras-tu promettre au roi que l’offensive
ottomane en Europe ne se poursuivra pas ? »
    Haroun parut excédé par ma naïveté.
    « Si nous attaquions les Magyars, dont le
souverain n’est autre que le beau-frère de l’empereur Charles, le roi de France
ne songerait nullement à nous le reprocher. De même, si nous assiégions Vienne,
que gouverne le propre frère de l’empereur.
    — Le roi de France ne serait-il pas critiqué
par ses pairs s’il laissait conquérir ainsi des terres chrétiennes ?
    — Sans doute, mais mon maître est prêt à lui
donner en échange un droit de regard sur le sort des églises de Jérusalem et
des chrétiens du Levant. »
    Nous nous tûmes un instant, plongés l’un et l’autre
dans nos pensées. Haroun s’adossa à un coffre ciselé et sourit.
    « Lorsque j’ai dit au roi François que je lui
avais amené une centaine de combattants, il a semblé embarrassé. J’ai cru un
moment qu’il allait refuser de les laisser se

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