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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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persifleur :
« Messire Guicciardini a toujours refusé de se faire ordonner. Quant à
vous, Léon, je m’étonne que Notre cher cousin et glorieux prédécesseur ne vous
ait jamais suggéré de consacrer votre vie à la religion. »
    J’étais perplexe : pourquoi l’homme qui m’avait
présenté à Maddalena me posait-il une telle question ? Je lorgnai vers
Guicciardini ; il me parut soucieux. J’en conclus que le pape cherchait à
vérifier mes convictions religieuses avant de me confier une mission auprès des
musulmans. Voyant que je tardais à répondre, il insista :
    « La religion n’aurait-elle pas été la
meilleure des voies pour un homme de connaissance et d’érudition comme
vous ? »
    Je me fis évasif.
    « Parler de religion en présence de Sa
Sainteté, c’est comme parler d’une fiancée en présence de son père. »
    Clément sourit. Sans toutefois me relâcher.
    « Et que diriez-vous de la fiancée si le père
n’était pas là ? »
    Je choisis de ne plus biaiser :
    « Si le chef de l’Église ne m’écoutait pas,
je dirais que la religion enseigne aux hommes l’humilité, mais qu’elle n’en a
aucune elle-même. Je dirais que toutes les religions ont produit des saints et
des assassins, avec une égale bonne conscience. Et que dans la vie de cette
cité, il y a des années Clémentes et des années Adriennes, entre lesquelles la
religion ne permet pas de choisir.
    — L’islamisme permet-il de mieux
choisir ? »
    Je faillis dire « nous », mais je me
repris à temps :
    « Les musulmans apprennent que « le
meilleur des hommes est le plus utile aux hommes », mais, en dépit de
telles paroles, il leur arrive d’honorer les faux dévots plus que les vrais
bienfaiteurs.
    — Et la vérité, dans tout cela ?
    — C’est une question que je ne me pose
plus : entre la vérité et la vie, j’ai déjà fait mon choix.
    — Il faut bien qu’il y ait une Foi
vraie !
    — Ce qui unit les croyants, ce n’est pas tant
la foi commune que les gestes qu’ils reproduisent en commun.
    — Est-ce ainsi ? »
    Le ton du pape était insondable. Songeait-il à
remettre en cause la mission qu’il venait de me confier ? Guicciardini le
craignit, et s’empressa d’intervenir, avec le plus large des sourires :
    « Léon veut dire que la vérité n’appartient
qu’à Dieu et que les hommes ne peuvent que la défigurer, l’avilir, l’assujettir. »
    Comme pour l’approuver, je murmurai, assez haut
pour être entendu :
    « Que ceux qui détiennent la vérité la
relâchent ! »
    Clément eut un rire confus. Puis il
enchaîna :
    « Résumons-nous. Frère Léon n’entrera pas en
religion ; il entrera seulement en diplomatie, comme frère
Francesco. »
    Rassuré, ce dernier joignit les mains, prit une
moue dévote et prononça, d’une voix bouffonne :
    « Si frère Léon a horreur de la vérité, qu’il
soit sans crainte : il ne la rencontrera pas souvent dans notre confrérie.
    — Amen  », conclus-je sur le même
ton.
     
    *
     
    De nombreux amis étaient rassemblés chez moi pour
fêter ma libération, dont la nouvelle s’était répandue dès l’aube. Voisins,
élèves, amis, tous s’accordèrent à dire que j’avais peu changé en un an de
prison. Tous, sauf Giuseppe, qui refusa résolument de me reconnaître et qui se
ménagea trois bonnes journées de bouderie avant de me dire pour la première
fois de sa vie : « Père ! »
    Bientôt Abbad arriva de Naples, afin de saluer mon
retour, mais aussi pour m’exhorter à quitter Rome sans tarder. Pour moi, il n’en
était absolument plus question.
    « Es-tu sûr que la prochaine fois que tu
voudras t’en aller tu ne seras pas enfermé à nouveau à Saint-Ange ?
    — Dieu choisira de me laisser ici ou de me
faire partir. »
    La voix d’Abbad se fit subitement sévère :
    « Dieu a déjà choisi. Ne dit-il pas qu’il ne
faut pas rester de son plein gré en pays infidèle ? »
    Je posai sur lui un regard lourd de reproches. Il
se dépêcha de s’excuser :
    « Je sais que je n’ai pas le droit de te
faire la leçon, moi qui vis à Naples, qui offre deux fois par an des cadeaux à
l’église Saint-Janvier, qui ai pour partenaires des Biscayens et des
Castillans. Mais j’ai peur pour toi, par le Livre ! Je te sens engagé dans
des querelles qui ne sont pas pour nous. Tu pars en guerre contre un pape, tu n’es
sauvé que par sa mort.
    — Cette ville est aujourd’hui la

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