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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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l’occasion tant
attendue de prendre langue avec les Ottomans ? Il fallait que nous nous
trouvions, Guicciardini et moi, sous les murs de Pavie en même temps que cet
émissaire, que nous l’approchions et lui transmettions un message verbal de
Clément VII.
    En dépit du froid, nous atteignîmes les lignes
françaises en moins d’une semaine. Nous y fûmes d’abord accueillis par un vieux
gentilhomme de haut rang, le maréchal de Chabannes, seigneur de La Palice, qui
connaissait fort bien Guicciardini. Il parut étonné de notre visite, vu qu’un
autre envoyé du pape, le dataire Matteo Giberti, était arrivé une semaine plus
tôt. Sans se laisser démonter, mon compagnon répondit sur un ton mi-insinuateur
mi-bouffon qu’il était normal de « faire précéder le Christ par
Jean-Baptiste ».
    Rodomontade apparemment utile, puisque le
Florentin fut reçu le jour même par le roi. Je ne fus pas, quant à moi, admis à
l’entretien, mais je pus baiser la main du monarque, ce pour quoi j’eus à peine
besoin de me courber, car il me dominait d’une bonne palme. Ses yeux glissèrent
sur moi comme l’ombre d’un roseau, avant de s’éparpiller en mille éclats
insaisissables, tandis que les miens fixaient avec la fascination un point
précis de sa face, là où l’immense nez vient protéger la trop fine moustache,
plongeant vaillamment par-dessus les lèvres. C’est sans doute en raison de
cette complexion que le sourire de François paraissait ironique, même quand il
se voulait bienveillant.
    Guicciardini sortit enthousiaste de la tente ronde
où s’était déroulée l’entrevue. Le roi lui avait confirmé que l’Ottoman
arriverait le lendemain et s’était montré enchanté par l’idée d’un contact
entre Rome et Constantinople.
    « Que peut-il espérer de mieux qu’une
bénédiction du Saint-Père au moment de sceller une alliance avec les
infidèles ? » commenta le Florentin.
    Avant d’ajouter, ostensiblement ravi de me prendre
ainsi au dépourvu :
    « J’ai fait état de ta présence avec moi
ainsi que de ta connaissance du turc. Sa Majesté m’a demandé si tu pouvais
faire office de truchement. »
    Pourtant, lorsque l’émissaire ottoman entra et se
mit à parler, je demeurai muet, incapable de desserrer les lèvres, incapable
même de me racler la gorge. Le roi me lança un regard assassin, Guicciardini
était rouge de colère et de confusion. Fort heureusement, le visiteur avait son
propre traducteur, qui, de plus, connaissait la langue de François.
    De tous ceux qui étaient présents, un seul homme
comprenait mon émoi et le partageait, bien que sa fonction lui imposât de n’en
rien laisser transparaître, du moins jusqu’à ce qu’il eût achevé le grave
rituel de la représentation. C’est seulement après avoir lu à voix haute la
lettre du sultan et échangé avec le roi quelques propos souriants que l’ambassadeur
s’approcha de moi, me serra chaleureusement contre lui, en disant à voix
haute :
    « Je savais que je rencontrerais dans ce camp
des amis et des alliés, mais je ne m’attendais pas à y retrouver un frère que j’avais
perdu depuis de longues années. »
    Quand le traducteur de la délégation ottomane eut
transmis ces propos, l’assemblée n’eut plus d’yeux que pour moi, Guicciardini
respirait à nouveau. Moi-même, je n’avais aux lèvres qu’un mot hébété et incrédule :
    « Haroun ! »
    On m’avait bien dit la veille que l’ambassadeur du
Grand Turc s’appelait Haroun Pacha. Mais à aucun moment je n’avais vu le
moindre lien entre lui et mon meilleur ami, mon plus proche parent, mon presque
frère.
    Il nous fallut attendre le soir pour nous
retrouver seuls sous la somptueuse tente que son escorte avait dressée pour
lui. Son Excellence le Furet portait un haut et lourd turban en soie blanche,
orné d’un gros rubis et d’une plume de paon. Mais il ne tarda pas à ôter le
tout, d’un geste de délivrance, découvrant une tête dégarnie et grisonnante.
    Sans détour, il entreprit de satisfaire mon
évidente curiosité :
    « Après notre voyage commun à Constantinople,
j’ai souvent franchi la sublime porte, en tant qu’émissaire d’Arouj Barberousse,
Dieu lui fasse miséricorde ! puis de son frère Khaïreddine. J’ai appris le
turc et le langage des courtisans, je me suis fait des amis au diwan et
j’ai négocié le rattachement d’Alger au sultanat des Ottomans. De cela, je
serai fier jusqu’au jour

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