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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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enflée que je craignis à nouveau l’amputation. De rage, de
désespoir, je travaillais et travaillais encore, de jour et de nuit. Je pus
ainsi achever les traductions arabes et hébraïques que j’avais promises à l’imprimeur
saxon. Je pus également écrire, cette année-là, les six premiers livres de ma Description de l’Afrique. Au bout de quelques mois, j’avais fini par me
faire aux plaisirs de ma condition de scribe sédentaire, de voyageur repenti,
et par goûter aux joies quotidiennes de ma petite famille. Non sans garder un
œil inquiet sur les événements qui m’assiégeaient.
    J’étais encore entre deux fièvres lorsque
Maddalena m’apprit, début mars, la nouvelle qui ébranlait déjà l’Italie :
les troupes impériales avaient écrasé l’armée du roi de France devant Pavie.
Une rumeur s’était propagée d’abord selon laquelle François avait été
tué ; je devais bientôt apprendre qu’il avait été seulement capturé. Mais
la situation n’en était pas moins désastreuse : quel que soit le sort du
monarque, il était clair que les Français ne pourraient plus, avant longtemps,
s’opposer aux ambitions de l’empereur.
    Je pensais à Clément VII. Il s’était montré
trop favorable à François pour ne pas essuyer sa part de la défaite. Comment
allait-il se tirer de ce mauvais pas ? Allait-il se réconcilier avec
Charles Quint pour prévenir son courroux ? Allait-il, au contraire, user
de son autorité pour rassembler les princes de la chrétienté contre un empereur
devenu trop puissant, trop dangereux pour tous ? J’aurais donné cher pour
pouvoir m’entretenir avec le pape. Et plus encore avec Guicciardini, surtout
depuis qu’une lettre m’était parvenue de lui, au début de l’été, avec cette
phrase énigmatique, et terrifiante dans son ironie : Seul un miracle
peut encore sauver Rome, et le pape voudrait que ce soit moi qui l’accomplisse !

L’ANNÉE DES BANDES NOIRES

932 de l’hégire (18 octobre
1525 – 7  octobre 1526)
     
    Il était devant moi, statue de chair et de fer, de
rires puissants et d’immenses éclats de colère.
    « Je suis le bras armé de l’Église ! »
    On l’appelait pourtant « le grand
diable », et on l’aimait ainsi, indomptable, intrépide, fougueux, prenant
d’assaut femmes et forteresses ; l’on avait peur de lui, et l’on avait
peur pour lui, et l’on priait Dieu qu’il le protège et l’éloigne.
    « Mon incorrigible cousin Giovanni »,
disait Clément VII avec tendresse et résignation.
    Condottiere et Médicis, il était à lui seul toute
l’Italie. Les troupes qu’il commandait étaient à son image, vénales et
généreuses, tyranniques et justicières, indifférentes à la mort. Cette
année-là, elles s’étaient mises au service du pape. On les appelait les Bandes
Noires, et leur chef fut bientôt connu non plus comme Jean de Médicis mais
comme Jean des Bandes Noires.
    C’est à Bologne que je le rencontrai. Pour ma
première sortie, j’avais tenu à me rendre au palais de messire Jacopo Salviati,
vénérable gentilhomme de la ville, qui m’avait entouré de sa bienveillance tout
au long de ma maladie, m’envoyant sans arrêt argent, livres, habits et cadeaux.
Guicciardini l’avait prié de me prendre sous sa protection, et il s’était acquitté
de cette tâche avec une diligence paternelle, ne laissant jamais passer une
semaine sans envoyer l’un de ses pages s’enquérir de ma santé. Ce Salviati
était le personnage le plus en vue de Bologne et il vivait dans un luxe digne
des plus grands Médicis. Il est vrai que sa femme n’était autre que la sœur du
pape Léon et que sa fille, Maria, avait épousé Jean des Bandes Noires. Pour son
malheur, il faut bien dire, car elle le voyait fort rarement, entre deux
campagnes, entre deux idylles, entre deux coucheries.
    Ce jour-là, pourtant, il était venu, moins pour sa
femme que pour leur fils, âgé de six ans. Je m’approchais du palais Salviati,
appuyé sur l’épaule de Maddalena, lorsque le cortège se fit entendre. Le
condottiere était entouré d’une bonne quarantaine de fidèles à cheval. Des
passants murmuraient son nom, certains l’acclamaient, d’autres pressaient le
pas. Moi-même je préférai m’écarter pour le laisser passer, ma démarche étant
encore lente et incertaine. Il cria de loin :
    « Cosimo ! »
    Dans l’encadrement d’une fenêtre, à l’étage, un
enfant apparut. Jean partit au trot,

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