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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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battre à ses côtés, mais il a
fini par m’adresser de chaleureux remerciements. Et il a fait dire dans le camp
que ces cavaliers étaient des vassaux chrétiens du sultan. »
    Il enchaîna sans transition :
    « Quand reviendras-tu chez les tiens ?
    — Un jour, sans aucun doute, dis-je en
hésitant, lorsque Rome aura perdu pour moi ses attraits.
    — Abbad le Soussi m’a dit, quand je l’ai vu à
Tunis, que le pape t’avait emprisonné pendant un an dans une citadelle.
    — Je l’avais critiqué sans ménagement. »
    Haroun eut subitement un accès d’hilarité.
    « Toi, Hassan, fils de Mohamed le Grenadin,
tu t’es permis de critiquer le pape en pleine ville de Rome ! Abbad m’a
même dit que tu reprochais à ce pape d’être étranger.
    — Ce n’est pas tout à fait cela. Mais ma
préférence allait effectivement à un italien, si possible un Médicis de
Florence. »
    Mon ami était abasourdi de constater que je lui
répondais le plus sérieusement du monde.
    « Un Médicis, dis-tu ? Eh bien, moi, dès
mon retour à Constantinople, je vais réclamer que la dignité de calife soit
retirée aux Ottomans et restituée à un descendant d’Abbas. »
    Il se caressa précautionneusement le cou et la
nuque, en répétant comme une rengaine :
    « Tu préfères un Médicis,
dis-tu ? »
    Tandis que je devisais ainsi avec Haroun,
Guicciardini échafaudait les plans les plus extravagants, persuadé que mes
liens avec l’émissaire du Grand Turc représentaient une chance inouïe pour la
diplomatie papale. Je me devais de modérer son ardeur, de lui faire sentir, en
particulier, toute l’indifférence que mon beau-frère avait manifestée. Mais le
Florentin écarta mes objections d’un revers de main :
    « En tant qu’ambassadeur, Haroun Pacha ne
manquera pas de rapporter au Grand Turc nos ouvertures. Un pas est franchi, et
avant longtemps nous recevrons à Rome un émissaire ottoman. Peut-être aussi
partirons-nous, toi et moi, pour Constantinople. »
    Mais, avant d’aller plus loin, il était temps de
rendre compte de notre mission au pape.
     
    *
     
    Nous nous hâtions vers Rome lorsque la tempête de
neige dont j’ai parlé nous surprit, à quelques milles au sud de Bologne. Dès
les premières rafales, le drame de l’Atlas envahit ma mémoire. Je me croyais
revenu à ces instants terrifiants où je m’étais senti cerné par la mort comme
par une meute de loups affamés, n’étant plus relié à la vie que par la main de
ma Hiba que je tenais avec rage. Je murmurais sans arrêt le nom de ma belle
esclave numide, comme si aucune femme ne lui avait succédé dans mon cœur.
    Le vent redoublait de violence, et les soldats de
notre escorte durent mettre pied à terre pour essayer de s’abriter. Je fis de
même, ainsi que Guicciardini, que je ne tardais pas à perdre de vue. Je croyais
entendre des cris, des appels, des hurlements. J’apercevais de temps à autre
quelque silhouette fugace que je tentais de suivre, mais qui, à chaque fois, s’évanouissait
dans le brouillard. Bientôt ma monture m’échappa. Courant à l’aveuglette, je
heurtai un arbre auquel je me cramponnai, accroupi et grelottant. Quand, la
tempête apaisée, on vint enfin vers moi, je gisais inanimé, enfoncé dans la
neige, ma jambe droite fracturée par quelque cheval fou. Apparemment, je n’étais
pas resté longtemps englouti, ce qui m’épargna d’être amputé. Mais je ne
pouvais marcher et ma poitrine était en feu.
    Nous revînmes donc vers Bologne où Guicciardini m’installa
dans une petite hôtellerie voisine du collège des Espagnols. Lui-même partit le
lendemain, non sans avoir prédit que je serais sur pied dix jours plus tard et
que je pourrais alors le rejoindre à la cour papale. Mais ce n’était que pour
me rassurer, puisque, dès son arrivée à Rome, il conseilla à Maddalena de venir
me rejoindre au plus vite avec Giuseppe et de m’apporter mes papiers et mes
notes pour que je puisse tromper l’ennui par l’écriture. De fait, je ne
parvenais pas à m’habituer à l’immobilité et, les premiers temps, je ne
décolérais pas, maudissant à longueur de journée la neige, le destin et ce
malheureux tenancier qui pourtant me servait avec patience.
    Je ne devais plus quitter ma chambre jusqu’à la
fin de cette année-là. Je faillis d’abord être emporté par une pneumonie et, à
peine rétabli, ce fut ma jambe qui me causa des inquiétudes. Elle était si
engourdie et si

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