Léon l'Africain
Bologne. Je m’empressai d’accepter la
proposition, me disant qu’un voyage aux côtés de Jean serait fort agréable et
dénué de danger, puisque aucun brigand n’oserait s’approcher d’un tel cortège.
Ainsi, dès le lendemain, me retrouvai-je avec Maddalena et Giuseppe sur la
route, entourés des redoutables guerriers des Bandes Noires, devenus pour l’occasion
des compagnons particulièrement prévenants.
*
Après trois jours de marche, nous atteignîmes la
résidence de Jean, un magnifique château appelé il Trebbio, où nous passâmes
une nuit. Le lendemain de bonne heure, nous traversâmes Florence.
« Vous devez bien être le seul Médicis à ne
pas connaître cette ville ! s’exclama le condottiere.
— En allant à Pavie avec Guicciardini, nous
avons failli nous y arrêter, mais le temps nous manquait.
— Il est bien barbare, ce temps qui vous
empêche de voir Florence ! »
Et aussitôt il ajouta :
« Cette fois aussi, le temps presse, mais je
m’en voudrais de ne pas vous y faire faire un tour. »
Jamais encore je n’avais visité une cité avec pour
guide une armée. Le long de la via Larga et jusqu’au palais Médicis, où nous
pénétrâmes intempestivement dans la cour à colonnades, ce fut une véritable
parade matinale. Un serviteur vint nous inviter à entrer, mais Jean refusa
sèchement :
« Messire Alessandro est-il là ?
— Je crois qu’il dort.
— Et messire Ippolito ?
— Il dort également. Faut-il que je les
réveille ? »
Jean haussa les épaules dédaigneusement et tourna
bride. En sortant de la cour, il fit quelques pas à droite pour me montrer une
bâtisse en chantier :
« L’église San Lorenzo. C’est ici que
travaille maintenant Michel-Ange Buonarroti, mais je n’ose t’y emmener parce qu’il
pourrait nous mettre à la porte. Il n’aime guère les Médicis et puis il a un
sale caractère. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est revenu à Florence. La
plupart de nos grands artistes se sont installés à Rome. Mais Léon X, qui
appelait tant de gens talentueux auprès de lui, a préféré éloigner Michel-Ange
et lui confier un travail ici. »
Il reprit la route, en direction du Dôme. Des deux
côtés de la route, les maisons me semblèrent bien agencées et ornées avec goût,
mais il y en avait fort peu d’aussi luxueuses que celles de Rome.
« La Ville éternelle est pleine d’œuvres d’art,
reconnut mon guide, mais Florence est tout entière un chef-d’œuvre, c’est aux
Florentins qu’on doit tout ce qui se fait de mieux dans toutes les disciplines. »
Je croyais entendre parler un Fassi !
Quand nous atteignîmes la piazza della Signoria,
et au moment où un notable d’un certain âge, vêtu d’une longue robe, s’approchait
de Jean pour échanger avec lui quelques propos, un groupe de personnes se mit à
scander : « Palle ! Palle ! », le cri de ralliement
des Médicis, auquel mon compagnon répondit par un salut, tout en me
disant :
« Ne crois surtout pas que tous les membres
de ma famille se feraient acclamer ainsi. Je suis le seul qui jouisse encore de
quelque faveur auprès des Florentins. Si par exemple mon cousin Jules, je veux
dire le pape Clément, s’avisait à venir ici aujourd’hui, il se ferait huer et
bousculer. Du reste, il le sait fort bien.
— N’est-ce pas votre patrie ?
— Ah ! mon ami, Florence est une
curieuse maîtresse pour les Médicis ! Quand nous sommes loin, elle nous
appelle à grands cris ; quand nous la retrouvons, elle nous maudit.
— Aujourd’hui, que veut-elle ? »
Il eut l’air soucieux. Il arrêta son cheval au
milieu de la chaussée, à l’entrée même du Ponte Vecchio, sur lequel la foule s’était
pourtant écartée pour le laisser passer, et duquel venaient quelques
acclamations.
« Florence veut bien être gouvernée par un
prince, à condition que ce soit en république. Chaque fois que nos ancêtres l’ont
oublié, ils l’ont regretté amèrement. Aujourd’hui, les Médicis sont représentés
dans leur ville natale par ce jeune présomptueux d’Alessandro. Il a à peine
quinze ans et il s’imagine que, parce que qu’il est Médicis et fils de pape,
Florence lui appartient femmes et biens.
— Fils de pape ? »
Ma surprise n’était pas feinte. Jean éclata de
rire.
« Ne me dis pas que tu as vécu sept ans à
Rome sans savoir qu’Alessandro était le bâtard de Clément ? »
J’avouai mon
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