Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
Vom Netzwerk:
d’Oum Jounaiba. Dieu seul est
maître de la récompense et du châtiment !
     
    *
     
    J’étais constamment au chevet de mon oncle,
attentif au moindre geste, à la moindre grimace, le contemplant parfois pendant
des heures, alors qu’il dormait d’un sommeil agité. Je le sentis tout d’un coup
vieilli, ramolli, désarmé, alors que deux jours plus tôt il était capable de
tenir une assemblée en haleine en parlant des Roum, des lions ou des
serpents. Grâce à ses dons de poète et d’orateur, grâce aussi à ses vastes
connaissances, il avait impressionné Mohamed le Portugais, qui, depuis son
accession au pouvoir, l’avait convoqué chaque semaine. Il était question de le
nommer à un poste de conseiller, de secrétaire ou de gouverneur d’une province.
    Je me souviens qu’un jour, à son retour du palais,
j’avais demandé à Khâli s’il avait reparlé de Mariam. Il avait répondu sur un
ton quelque peu embarrassé :
    « Je suis en train de gagner peu à peu la
confiance du souverain. Bientôt je serai en mesure d’obtenir de lui, sans la
moindre difficulté, la délivrance de ta sœur. Dans l’immédiat, je dois agir le
plus délicatement possible, j’aurais tort de lui demander quoi que ce
soit. »
    Puis il avait ajouté, avec un rire qui se voulait
excuse :
    « C’est ainsi que tu devras te comporter
lorsque tu feras de la politique ! »
    Peu après la désignation de Khâli comme
ambassadeur, j’étais revenu à la charge. Il avait alors parlé au souverain, qui
lui avait promis qu’à son retour de Tombouctou la jeune fille serait chez elle.
Mon oncle l’avait chaleureusement remercié et m’avait rapporté la nouvelle. J’avais
alors décidé de me rendre pour la première fois au quartier pour rapporter à
Mariam la promesse du monarque ainsi que la nouvelle de mon voyage.
    Je ne l’avais pas vue depuis un an, par excès d’affection,
mais aussi par lâcheté. Elle ne prononça aucune parole de reproche. Elle me
sourit comme si elle venait tout juste de me quitter, me demanda des nouvelles
de mes cours, me parut si sereine que j’en étais intimidé, contrit, déboussolé.
Peut-être aurais-je préféré la voir sangloter, avoir à la consoler, même de
loin puisqu’un cours d’eau nous séparait. Je lui annonçai triomphalement la
promesse du souverain. Elle réagit juste assez pour ne pas me froisser. Je lui
parlai de mon départ, elle fit mine de s’enthousiasmer, sans que je sache si
elle le faisait par un enjouement subit ou par moquerie. Ce cours d’eau qu’un
homme vigoureux aurait pu traverser en deux enjambées me semblait plus profond
qu’un ravin, plus vaste qu’un bras de mer. Mariam était si lointaine, si
impénétrable, sa voix me parvenait comme dans un cauchemar. Soudain, une vieille
lépreuse que je n’avais pas vue approcher posa une main sans doigts sur l’épaule
de ma sœur. Je criai et ramassai des pierres pour les lancer vers elle en lui
demandant de s’éloigner. Mariam s’interposa, protégeant la lépreuse de son
corps :
    « Lâche ces pierres, Hassan, ou tu vas
blesser mon amie ! »
    Je m’exécutai, mais je me sentais sur le point de
m’évanouir. Je fis un geste d’adieu et me retournai pour partir, la mort dans l’âme.
Ma sœur cria à nouveau mon nom. Je la regardai. Elle s’était approchée jusqu’au
bord de l’eau. Pour la première fois depuis mon arrivée, ses larmes
coulaient :
    « Tu vas me tirer de là, n’est-ce
pas ? »
    Sa voix était suppliante et, pour moi, rassurante.
D’un geste dont je fus le premier surpris, j’étendis la main devant moi, comme
si je la posais sur le Livre, et prononçai, à voix lente et haute, ce
serment :
    « Je jure de ne pas me marier avant de t’avoir
sortie de ce maudit quartier. »
    Elle sourit de toute sa face. Je me détournai
alors et m’éloignai à toutes jambes, car c’est cette image que je voulais
garder d’elle tout au long de mon voyage. Le jour même, je passai voir mon père
et Warda pour leur donner des nouvelles de leur fille. Avant de frapper à la
porte, je demeurai un instant immobile. Dans une fente du mur extérieur, il y
avait encore, séché et bruni, le brin d’herbe noué par Mariam le jour de sa
capture. Je le pris dans mes doigts et le posai furtivement sur mes lèvres.
    Puis je le remis à sa place.
     
    *
     
    Je repensais une fois de plus à ce brin quand
Khâli ouvrit les yeux. Je lui demandai s’il allait mieux ; il me dit

Weitere Kostenlose Bücher