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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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el-Asnam, la Source des
Idoles. Il y avait là un temple où hommes et femmes avaient coutume de se
réunir le soir, à une certaine époque de l’année. Une fois accomplis les
sacrifices rituels, ils éteignaient les lumières et chacun profitait de la
femme que le hasard avait placée auprès de lui. Ils passaient ainsi toute la
nuit et, au matin, on leur rappelait que pour un an aucune des femmes présentes
n’avait le droit de s’approcher de son mari. Les enfants qui naissaient durant
ce laps de temps étaient élevés par les prêtres du temple. Celui-ci a été
détruit, ainsi que la ville entière, lors de la conquête musulmane ; mais
le nom a survécu, seul témoin de cet âge d’ignorance.
    Deux jours plus tard, nous passâmes près d’un
village de montagne parsemé de vestiges antiques. On l’appelle « Les Cent
Puits », parce qu’on trouve dans son voisinage des puits d’une telle
profondeur qu’on dirait des grottes. On raconte que l’un d’eux a plusieurs
étages avec, à l’intérieur, des salles murées, certaines grandes, d’autres
petites, mais également aménagées. C’est pourquoi les chercheurs de trésor
viennent exprès de Fès pour y effectuer des descentes, à l’aide de cordes et
munis de lanternes. Beaucoup n’en ressortent jamais.
    Une semaine après avoir quitté Fès, nous
traversâmes une localité appelée Oum Jounaiba, où subsiste une coutume
étrange : il y a un cours d’eau, que longent les caravanes, et l’on dit
que tout homme qui passe par là ne doit avancer qu’en dansant et sautillant,
faute de quoi il est atteint par la fièvre quarte. Toute notre troupe s’y mit
allègrement, même moi, même les gardes, même les gros marchands, certains
agissant par jeu, d’autres par superstition, d’autres encore pour éviter les
piqûres d’insectes, à l’exception de mon oncle, qui estima que sa dignité d’ambassadeur
lui interdisait ce genre de gaminerie. Il devait le regretter cruellement.
    Nous étions déjà dans les hautes montagnes, sur
lesquelles souffle, même en automne, un vent du nord glacial et imprévisible.
Je ne m’attendais pas à trouver, en des lieux aussi élevés, au climat si rude,
des gens aussi bien habillés ni surtout aussi instruits. Il y a en particulier,
dans l’une des montagnes les plus froides, une tribu appelée Mestasa qui a pour
principale activité de recopier, de la plus belle écriture, un grand nombre de
livres et de les vendre au Maghreb et ailleurs. Un vieux commerçant génois
résidant à Fès, messire Thomasso de Marino, qui s’était joint à notre caravane,
et avec lequel j’ai eu de fréquentes discussions, acheta dans un seul village
une centaine de ces livres, admirablement calligraphiés et reliés de cuir. Il m’expliqua
que les ulémas et les hauts personnages du pays des Noirs en achetaient
beaucoup, et qu’il s’agissait là d’un commerce fort lucratif.
    Comme nous nous étions arrêtés pour la nuit dans
cette localité, j’avais accompagné le Génois à un dîner offert par son
fournisseur. La demeure était bien construite, avec du marbre et de la
majolique, des tentures de laine fine sur les murs et couvrant le sol, des
tapis également de laine, mais agréablement coloriés. Tous les invités
semblaient fort prospères, et je ne pus m’empêcher de poser à notre hôte, avec
mille précautions de langage, une question qui me brûlait les lèvres : comment
se faisait-il que les gens de cette contrée si froide, si montagneuse, fussent
si bien lotis en avoir et en savoir ?
    Le maître de céans éclata de rire :
    « Tu veux comprendre, en somme, pourquoi les
habitants de cette montagne ne sont pas tous des rustres, des mendiants et des
va-nu-pieds ? »
    Je ne l’aurais pas dit ainsi, mais c’était bien ce
qui m’intriguait.
    « Sache, jeune visiteur, que le plus grand
cadeau que le Très-Haut puisse offrir à un homme, c’est de le faire naître dans
une haute montagne traversée par la route des caravanes. La route apporte la
connaissance et la richesse, la montagne offre la protection et la liberté.
Vous, gens des villes, vous avez à portée de main tout l’or et tous les livres,
mais vous avez des princes, devant lesquels vous courbez la tête… »
    Il s’avisa :
    « Puis-je te parler comme un vieil oncle
parle à son neveu, comme un vieux cheikh à son disciple, sans prendre aucun
détour avec les enseignements de la vie ? Me promets-tu de ne pas

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