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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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cent pièces d’or afin que je les remette à mon oncle, ainsi que deux
esclaves pour le servir au cours du voyage. Il me chargea de lui dire que ces
présents étaient seulement un remerciement pour son poème, et non la
contrepartie des cadeaux qu’il lui avait offerts. Il me confia également dix
pièces d’or pour chacun des deux cavaliers qui m’accompagnaient.
    À moi, il réservait une surprise. Il commença par
me donner cinquante pièces d’or, mais, quand je sortis, le secrétaire me fit
signe de le suivre. Nous traversâmes un couloir jusqu’à une porte basse qui
nous mena vers une petite cour. Au milieu, un cheval, beau mais petit, monté
par une superbe cavalière brune au visage découvert.
    « Cette jeune esclave est le cadeau du
seigneur pour ton poème. Elle a quatorze ans, elle parle bien l’arabe. Nous l’appelons
Hiba. »
    Il prit la bride et me la posa dans la main. Je la
tirai, les yeux levés, incrédules. Mon cadeau sourit.
    Comblé d’avoir rencontré un seigneur si courtois
et si généreux, je revins directement sur Tabelbala, où la caravane m’attendait.
J’annonçai à mon oncle que je m’étais parfaitement acquitté de ma mission et
lui rappelai dans le détail chaque mot, chaque geste. Je lui transmis les
présents qui lui revenaient, ainsi que les propos qui les accompagnaient, et,
pour finir, je lui racontai ma délicieuse surprise. À ce point de mon histoire,
son visage s’embruma.
    « On t’a bien dit que cette esclave parlait l’arabe ?
    — Bien sûr, et j’ai pu le vérifier sur le
chemin du retour.
    — Je n’en doute pas. Mais, si tu avais plus d’âge
et de sagesse, tu aurais entendu autre chose dans les propos du secrétaire. T’offrir
cette esclave peut être une manière de t’honorer, mais ce peut être également
une manière de t’insulter, de te montrer l’abaissement de ceux qui parlent ta
langue.
    — Aurais-je dû refuser ? »
    Mon oncle rit de bon cœur :
    « Je vois bien que tu vas t’évanouir à l’idée
que tu aurais pu laisser cette fille dans la cour où tu l’as trouvée.
    — Je peux donc la garder ? »
    Mon ton était celui d’un enfant agrippé à son
jouet. Khâli haussa les épaules et fit signe aux chameliers de s’apprêter au
départ. Comme je m’éloignais, il me rappela :
    « As-tu déjà touché cette fille ?
    — Non, lui répondis-je, les yeux baissés. En
route, nous avons dormi en plein air, et les gardes étaient près de moi. »
    Il y avait de la malice dans son rictus.
    « Tu ne la toucheras pas non plus maintenant,
car avant que nous ayons couché à nouveau sous un toit le mois de ramadane aura débuté. En tant que voyageur, tu n’es pas tenu de jeûner, mais tu dois
montrer d’une autre façon ta soumission au Créateur. Tu couvriras ton esclave
de la tête aux pieds, tu lui interdiras de se parfumer, de se farder, de se
coiffer et même de se laver. »
    Je ne protestai pas, car je compris tout de suite
que le zèle religieux n’était pas la seule raison de cette recommandation. On a
souvent vu dans les caravanes des disputes, des accès de folie, ou même des
crimes dus à la présence d’une belle servante, et mon oncle voulait éviter à
tout prix toute tentation, toute attitude provocante.
    Notre étape suivante nous mena vers les oasis du
Touat et du Ghourara, tête de ligne des caravanes sahariennes. C’est là en
effet que les marchands et les autres voyageurs s’attendent pour partir
ensemble.
    Beaucoup de commerçants juifs étaient établis dans
ces oasis, mais ils avaient été victimes d’une curieuse persécution. L’année
même de la chute de Grenade, qui était également l’année de l’expulsion des
juifs espagnols, un prédicateur de Tlemcen était venu à Fès, incitant les
musulmans à exterminer les juifs de la ville. Dès qu’il en fut informé, le
souverain ordonna d’expulser cet agitateur, qui alla se réfugier dans les oasis
du Touat et du Ghourara et réussit à soulever la population contre les
juifs ; ils furent presque tous massacrés et leurs biens pillés.
    Dans cette contrée, il y a beaucoup de terres
cultivées, mais elles sont sèches, car elles ne peuvent être irriguées qu’à l’eau
de puits ; elles sont également très maigres, et pour les enrichir les
habitants utilisent une méthode peu habituelle. Quand un visiteur arrive, ils l’invitent
à loger chez eux sans contrepartie, mais ils prennent le fumier des montures et
aux

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