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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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l’Andalousie.
Quand, au bout de deux heures, Khâli évoqua le problème de Mariam, le prince se
montra fort indigné et s’engagea à faire arriver l’affaire aux oreilles de son
père.
    Il n’eut pas le temps de le faire, car le sultan
mourut, étrange coïncidence, le lendemain même de la visite de mon oncle au
palais.
    Dire que les miens pleurèrent longtemps le vieux
monarque serait un pur mensonge, non seulement parce qu’il avait pour ami le
Zerouali, mais aussi parce que les liens nouvellement établis entre son fils et
Khâli nous laissaient augurer le meilleur.

L’ANNÉE DE LA CARAVANE

910 de l’hégire (14 juin
1504 – 3 juin 1505)
     
    Cette année-là fut celle de mon premier grand
voyage, qui devait me conduire, à travers l’Atlas, Segelmesse et la Numidie,
vers l’étendue saharienne, puis vers Tombouctou, mystérieuse cité du pays des
Noirs.
    Khâli avait été chargé par le nouveau sultan de
Fès de porter un message au puissant souverain du Soudan, l’Askia Mohamed
Touré, lui annonçant son accession au pouvoir et promettant d’établir entre
leurs deux royaumes les rapports les plus amicaux. Comme il me l’avait promis
cinq ans plus tôt, lors de son périple en Orient, mon oncle m’avait invité à l’accompagner ;
j’en avais parlé à mon père, qui, par égard pour ma barbe soyeuse mais déjà
épaisse, ne songeait plus à s’y opposer.
    La caravane s’était ébranlée aux premières
fraîcheurs de l’automne, forte de deux cents montures portant hommes, vivres et
cadeaux. Nous avions droit à des gardes à chameau pour nous protéger tout au
long du trajet, ainsi qu’à des cavaliers qui devaient rebrousser chemin aux
portes du Sahara. Il fallait également des chameliers et des guides
expérimentés, ainsi que des serviteurs en nombre suffisant pour que l’ambassade
paraisse considérable aux yeux de nos hôtes. Au cortège officiel s’étaient
joints, après avoir sollicité la permission de mon oncle, plusieurs négociants
avec leurs marchandises, entendant profiter à la fois de la protection royale
en cours de route et du traitement de faveur que nous ne manquerions pas de
recevoir à Tombouctou.
    Les préparatifs avaient été trop minutieux, trop
longs à mon goût. Les derniers jours, je ne parvenais plus à dormir ni à lire,
je ne respirais plus que par bouffées distantes et oppressées. J’avais besoin
de partir à l’instant, de m’accrocher bien haut à la bosse d’un chameau, de m’engloutir
dans l’immensité désertique où les hommes, les bêtes, l’eau, le sable et l’or
ont tous la même couleur, la même valeur, la même irremplaçable futilité.
    Je découvris très tôt que l’on pouvait également
se laisser engloutir dans la caravane. Quand les compagnons de voyage savent qu’ils
devront, pendant des semaines et des mois, marcher dans la même direction,
affronter les mêmes périls, vivre, manger, prier, s’amuser, peiner, mourir,
parfois ensemble, ils cessent d’être des étrangers les uns pour les
autres ; aucun vice ne reste caché, aucun artifice ne persiste. Vue de
loin, la caravane est un cortège ; vue de près, c’est un village, avec ses
racontars, ses plaisanteries, ses sobriquets, ses intrigues, ses conflits et
ses réconciliations, ses soirées de chanson et de poésie, un village pour
lequel toutes les contrées sont lointaines, même celle dont on vient, même
celles qu’on traverse. C’est d’un tel éloignement dont j’avais besoin pour
oublier les angoisses épuisantes de Fès, l’acharnement du Zerouali, la cruauté
sans visage du cheik des lépreux.
     
    *
     
    Le jour même de notre départ, nous avons traversé
la ville de Sefrou, située au pied de l’Atlas, à quinze milles de Fès. Les
habitants sont riches, mais ils s’habillent pauvrement, les vêtements tout
tachés d’huile, à cause d’un prince de la famille royale qui s’y est fait
construire une résidence et qui accable d’impôts toute personne qui semble
avoir quelque prospérité. En passant par la grande rue, mon oncle approcha sa
monture de la mienne pour chuchoter à mon oreille :
    « Si quelqu’un te dit que l’avarice est fille
du besoin, dis-lui qu’il se trompe. Ce sont les impôts qui ont engendré l’avarice ! »
    Non loin de Sefrou, la caravane emprunta le col
par lequel passe la route de Numidie. Deux jours plus tard, nous étions en pleine
forêt, près des ruines d’une ville ancienne appelée Aïn

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