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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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hommes ils font comprendre qu’ils les offenseraient s’ils faisaient leurs
besoins ailleurs que chez eux. Aussi les voyageurs sont-ils obligés de se boucher
le nez dès qu’ils passent à côté d’un champ cultivé.
    Ces oasis sont la dernière station où l’on puisse
s’approvisionner correctement avant la traversée du Sahara. Les points d’eau
deviennent de plus en plus espacés, et il faut plus de deux semaines pour
atteindre le premier lieu habité. Encore faut-il préciser qu’en ce lieu, appelé
Teghaza, il n’y a rien d’autre que des mines dont on extrait le sel. On le
conserve jusqu’à ce qu’une caravane vienne l’acheter pour le vendre à
Tombouctou, qui en manque constamment. Chaque chameau peut porter jusqu’à
quatre barres de sel. Les mineurs de Teghaza n’ont d’autres vivres que ceux qu’ils
reçoivent de Tombouctou, situé à vingt jours de route, ou de quelque ville
aussi éloignée. Il est parfois arrivé qu’une caravane, ayant pris du retard,
trouve certains de ces hommes morts de faim dans leurs cabanes.
    Mais c’est au-delà de cette localité que le désert
devient véritablement infernal. On n’y trouve plus que des ossements blanchis d’hommes
et de chameaux morts de soif, les seuls animaux vivants qu’on y rencontre en
quantité sont les serpents.
    Dans la portion la plus aride de ce désert se
trouvent deux tombes surmontées d’une pierre sur laquelle sont gravées des
inscriptions. On peut y lire que deux hommes sont ensevelis à cet endroit. L’un
était un riche marchand qui, passant par là et torturé par la soif, avait
acheté à l’autre, un caravanier, une tasse d’eau à dix mille pièces d’or. Mais,
après avoir fait quelques pas, le vendeur et l’acheteur s’étaient écroulés
ensemble, morts de soif. Dieu seul dispense la vie et les biens !
     
    *
     
    Même si j’étais plus éloquent, même si ma plume
était plus docile, j’aurais été incapable de décrire ce que l’on ressent quand,
après des semaines de traversée épuisante, les yeux lacérés par les vents de
sable, la bouche tuméfiée par une eau salée et tiède, le corps brûlant, sale,
tordu par mille courbatures, on voit apparaître enfin les murs de Tombouctou.
Certes, au bout du désert, toutes les villes sont belles, toutes les oasis
ressemblent au jardin d’Éden. Mais nulle part la vie ne m’a semblé aussi
souriante qu’à Tombouctou.
    Nous y étions arrivés au coucher du soleil,
accueillis par un détachement de soldats dépêché par le seigneur de la ville.
Comme il était trop tard pour être reçus au palais, on nous conduisit vers des
logements qui avaient été prévus pour nous, chacun suivant son rang. Mon oncle
fut installé dans une maison proche de la mosquée ; j’y eus droit à une
vaste chambre donnant sur une place animée, mais qui commençait à se vider. Le
soir, après un bain et un dîner léger, je fis appeler Hiba, avec la permission
de Khâli. Il devait être dix heures du soir. Un tumulte nous parvint de la
rue : un groupe de jeunes s’étaient rassemblés, jouant de la musique,
chantant et dansant sur la place. Je devais bientôt m’habituer à ces
promeneurs, qui allaient revenir tout au long de mon séjour. Cette nuit-là, le
spectacle m’était si inhabituel que je me postai à la fenêtre et ne bougeai
plus. Peut-être étais-je aussi intimidé de me sentir pour la première fois dans
une chambre avec une femme qui m’appartenait.
    Elle avait réparé les injures de la route et se
retrouvait fraîche, souriante et dévoilée comme au jour où elle m’avait été
offerte. Elle s’approcha de la fenêtre et se mit à regarder comme moi les
danseurs, son épaule imperceptiblement collée à la mienne. La nuit était
fraîche, froide même, mais mon visage était brûlant.
    « Veux-tu que je fasse comme
eux ? »
    Et, sans attendre ma réponse, elle commença à
danser de tout son corps, lentement d’abord, puis de plus en plus vite, mais
sans rien perdre de sa grâce ; ses mains, ses cheveux, ses écharpes
voltigeaient dans la chambre, portés par leur propre vent, ses hanches
remuaient au rythme de la musique nègre, ses pieds nus sur le sol traçaient des
arabesques. Je m’écartai de la fenêtre pour laisser s’engouffrer le clair de
lune.
    C’est seulement vers une heure du matin, peut-être
même plus tard, que la rue retrouva le silence. Ma danseuse s’étendit par
terre, épuisée, haletante. Je tirai la

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