L'épopée d'amour
contre le treillis de la fenêtre.
Sur sa gauche apparaissait un groupe de cinq ou six gentilshommes. En avant d’eux, à trois pas, marchait Coligny, qui causait paisiblement avec Clermont, comte de Piles, jeune homme de la suite du roi de Navarre.
Clermont de Piles était à gauche de l’amiral.
Coligny présentait donc son flanc droit à la fenêtre grillée.
Maurevert, à ce moment, fit feu.
Il y eut dans le cloître Saint-Germain-l’Auxerrois une seconde de stupéfaction. Coligny agitait sa main droite vers la fenêtre. Cette main était ensanglantée : la balle avait emporté l’index.
– Au meurtre ! hurlèrent les gentilshommes en se précipitant vers Coligny.
Au même instant, un deuxième coup de feu retentit, et cette fois, l’amiral s’affaissa, l’épaule gauche fracassée.
Dans la même seconde, le cloître se remplit de cris, une foule se rassembla ; mais lorsqu’on sut que l’amiral Coligny venait d’être frappé, cette foule se recula aussitôt, avec de sourdes imprécations contre les huguenots.
Après son premier coup de feu, Maurevert avait reposé son arme en disant :
– Maladroit ! je l’ai manqué.
– Recommencez ! gronda Villemur.
– Avec quoi ? fit Maurevert goguenard.
Le chanoine, d’un bond, fut près de lui, une deuxième arquebuse à la main, toute chargée. Maurevert, sans hésitation apparente, s’en saisit, et fit feu.
L’amiral tomba.
– Il est mort ! dit Villemur.
– Je crois que oui, dit Maurevert avec un sourire.
– Fuyez !…
– Et vous ?
– Fuyez donc, de par Notre-Dame !
Maurevert obéit sans hâte, bien qu’à ce moment des coups violents ébranlassent la porte.
Il atteignit l’arrière-cour, défit le bridon, se mit en selle et enfila la sente au trot.
Alors le chanoine descendit rapidement dans les caves de sa maison, leva une trappe, s’enfonça dans un boyau, parcourut un long couloir, et remontant par un escalier de pierre, arriva dans la sacristie de Saint-Germain-l’Auxerrois où quelques prêtres se trouvaient rassemblés.
Parmi ces prêtres, il reconnut aussitôt J’évêque Sorbin de Sainte-Foi, auquel il fit un signe.
Alors l’évêque leva les bras au ciel et tous pénétrèrent dans l’église et, s’agenouillant au pied du maître-autel, entonnèrent le
Te Deum
.
Dans le cloître, une scène de confusion terrible se passait. Les gentilshommes huguenots s’étaient rués vers la fenêtre ; mais le treillis était solide ; alors, tandis que les uns cherchaient à défoncer la porte, d’autres, l’épée à la main, entourèrent Coligny, comme pour faire face à une nouvelle attaque.
– Avertissez le roi, dit tranquillement Coligny.
L’un des gentilshommes, le baron de Pont, s’élança en courant vers le Louvre, traversant des groupes silencieux et hostiles.
– C’est bien fait ! cria une femme.
Cependant, avec l’aide de ses amis, Coligny s’était relevé ; mais il ne put se tenir debout et parut prêt à défaillir.
– Une chaise ! cria Clermont de Piles. Pour Dieu, un siège, un fauteuil, n’importe quoi !
Dans la foule, il y eut des ricanements ; nul ne bougea. Les huguenots se regardèrent épouvantés, tout pâles.
Alors, deux d’entre eux unirent leurs mains entrelacées, formant ainsi une sorte de siège sur lequel le blessé fut assis, ses deux bras au cou des deux gentilshommes.
Les autres entourèrent ce groupe en silence, l’épée à la main. Ceux qui avaient essayé vainement de défoncer la porte vinrent s’unir au cortège, qui se mit en route.
Lorsqu’ils furent loin, la foule se débanda, riant, applaudissant et criant :
– Mort aux huguenots !
Coligny n’avait pas perdu connaissance.
– Soyez calmes, répétait-il d’une voix encore forte.
Mais ses amis ne l’écoutaient pas. Clermont de Piles pleurait – de colère autant que de douleur. Les autres criaient :
– On a tué l’amiral ! on a meurtri notre père ! Vengeance ! vengeance !
A chaque instant, ils rencontraient des huguenots qui, se réunissant au cortège et voyant l’amiral grièvement blessé, tiraient leurs épées et criaient :
– Vengeance !
En arrivant rue de Béthisy, ils étaient deux cents, agitant leurs épées, pleurant, menaçant, et les groupes du peuple qui les regardaient passer gardaient le silence.
Le bruit de l’attentat se répandit avec une rapidité inouïe : en moins d’une heure, une effervescence extraordinaire enfiévra Paris ; les
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