L'épopée d'amour
C’était un ancien condamné aux galères qu’on avait gracié à condition qu’il remplît au Temple certaines fonctions d’un ordre particulier.
Ruggieri lui montra l’un de ses papiers. L’homme fit signe qu’il obéirait. Ruggieri lui donna alors quelques ordres à voix basse. L’homme répondit :
– J’y vais.
– Non, dit l’astrologue. Pas maintenant.
– Et quand ?
– Cette nuit. Je ne pourrai être ici qu’à trois heures et demie. Je veux recueillir moi-même la chose.
– Trois heures et demie. Bon. Je commencerai donc à tourner la manivelle vers trois heures.
Ruggieri approuva d’un signe de tête et sortit.
Mais au moment où il allait franchir la porte du Temple, il s’arrêta soudain et murmura :
– Il faut que je le voie… il est essentiel que je lise dans sa main.
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Chapitre 32 LA MECANIQUE
A près la soudaine intervention de Marie Touchet dans la chambre de torture, les deux Pardaillan avaient été réintégrés dans leur cellule. Un flot d’espoir montait de leurs cœurs à leurs cerveaux. Mais ces deux hommes d’une trempe exceptionnelle, évitèrent de se montrer l’un à l’autre la joie qu’ils éprouvaient.
Simplement, le vieux routier s’écria quand ils eurent été enfermés :
– Pour cette fois, chevalier, je dois convenir que tu n’as pas eu tort de sauver cette aimable personne. Par Pilate, j’aurai donc connu une femme qui aura montré quelque gratitude ?
– Vous pouvez ajouter un homme, observa le chevalier.
– Qui donc ? Ton Montmorency qui nous laisse mourir dans ce cul de basse-fosse, alors qu’il devrait déjà avoir mis le feu à Paris et fait sauter le Temple pour nous en tirer !
– Mais, monsieur, nous eussions sauté, nous aussi, en ce cas, répondit le chevalier de cet air naïf et narquois qu’il avait quand il se trouvait de bonne humeur. Mais, ajouta-t-il, c’est de Ramus que je voulais parler. Ce digne savant ne nous a-t-il pas tirés d’un fort mauvais pas, rue Montmartre ?
– C’est pardieu la vérité. Mort de tous les diables, devrai-je donc me réconcilier avec l’humanité ?
Les deux intrépides aventuriers plaisantaient et devisaient paisiblement à l’heure où ils venaient d’échapper à une mort affreuse. Cœurs tendres, esprits vifs et alertes, âmes indomptables, ils dédaignaient de se congratuler, et le peu de cas qu’ils semblaient faire de leur retour à la vie était le plus audacieux défi à la mort et à la souffrance.
Cependant, peu à peu, leur entretien s’attacha à cette charmante et vaillante jeune femme qui leur était apparue comme un ange sauveur. Ils finirent par convenir que leur situation s’était infiniment améliorée et que, sûrement, Marie Touchet les délivrerait.
La journée se passa ainsi.
Et déjà la nuit avait envahi leur cachot, alors que dehors il faisait jour encore, lorsque la porte s’ouvrit.
Avouons que le cœur leur battit fort : était-ce la liberté ?…
C’était Ruggieri.
Il entra seul, une lanterne à la main, tandis que les arquebusiers qui l’avaient accompagné se rangeaient dans le couloir, prêts à faire feu à la moindre tentative d’évasion.
Ruggieri levant sa lanterne pour examiner les deux prisonniers, alla droit au chevalier.
– Me reconnaissez-vous ? demanda-t-il.
– Qu’est-ce que c’est que cet oiseau de mal augure ? songea le vieux Pardaillan stupéfait de cette apparition.
Le chevalier examina un instant l’astrologue. Sa figure prit cette expression d’insolence à froid et ce sourire tout sel et tout sucre qu’il avait devant certaines gens.
– Je vous reconnais, dit-il, bien que vous ayez fort changé. C’est vous qui vîntes me voir en mon taudis qui se trouva fort honoré de votre visite. C’est vous qui me posâtes de ces questions étranges, comme de me demander en quelle année j’étais né et si j’étais libre… C’est vous qui me donnâtes ce joli sac contenant deux cents beaux écus de six livres parisis. C’est vous qui m’offrîtes la porte de la maison du Pont-de-Bois où vous m’aviez donné rendez-vous… Mon père, saluez cet homme : c’est un des plus hideux coquins dont puisse se glorifier une truanderie ; saluez cette admirable figure de traître où se lit le plus raisonnable appétit de félonie ; savez-vous pourquoi monsieur me donnait deux cents écus que je bus d’ailleurs jusqu’au dernier ? Savez-vous pourquoi il m’amenait à l’illustre et généreuse
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