L'épopée d'amour
et venir. Quelque chose comme une larme roula sur ses joues et tomba sur la terre… sur la tombe de la mère du petit Jacques Clément… la tombe d’Alice de Lux et de Panigarola !…
L’enfant ayant levé les yeux, vit ces larmes du chevalier, et demeura tout saisi.
Il s’approcha et, prenant la main du chevalier, il dit gravement :
– Vous avez pleuré sur ma mère, jamais je ne l’oublierai… voulez-vous me dire votre nom ?
– Je m’appelle le chevalier de Pardaillan…
– Le chevalier de Pardaillan… bien ! Ce nom est gravé là… et votre figure est gravée là !
Il désigna successivement son front et son cœur.
– Mon petit, dit le chevalier, veux-tu que je te reconduise ?
– Non, non… je n’ai pas peur… et puis, je veux rester ici… j’ai beaucoup de choses à dire à maman… laissez-moi seul…
– Adieu, mon enfant…
– Au revoir, chevalier de Pardaillan, dit gravement Jacques Clément.
Le vieux routier prit le chevalier par le bras et l’entraîna. Quelques instants plus tard, ils s’éloignaient du cimetière des Innocents, où le petit Jacques Clément était resté seul à causer avec sa mère…
Les deux moines, cependant, attendaient non loin de la porte du cimetière. Au bout d’une demi-heure, ils virent reparaître le petit Jacques Clément. Thibaut donna rapidement ses instructions à Lubin, qui gémit :
– Alors, il faut encore que je risque d’être tué dans la bagarre !
– Puisque Dieu reconnaît les siens, voyons ! fit Thibaut. La Providence est là pour vous protéger.
– Ah ! oui, c’est vrai… la Providence, dit Lubin d’un ton peu convaincu. Je n’y songeais pas, à la Providence.
– Soyez prompt, soyez fort, frère Lubin… moi je rentre au couvent, il faut accompagner l’enfant…
Lubin poussa un profond soupir et la graisse de ses joues trembla.
Thibaut avait pris Jacques Clément par la main. Il s’éloigna en disant :
– D’ailleurs, voici du renfort…
fratres ad succurrendum !
Allons, frère Lubin, c’est le moment !
Une cinquantaine d’individus à mine patibulaire s’approchaient du cimetière. En passant près d’eux, Thibaut leur fit un signe ; puis il disparut rapidement, entraînant le petit.
– C’est égal, grommela Lubin, s’il s’était agi d’aller vider bouteille à la
Devinière
, frère Thibaut n’eût pas été si prompt à me confier aux soins de la Providence, tandis qu’il va me mettre à l’abri… Allons ! je mourrai donc en odeur de sainteté…
Et il pénétra dans le cimetière sans avoir l’air d’apercevoir la bande qui s’engouffra derrière lui et le suivit.
Frère Lubin marcha tout droit à la tombe d’Alice de Lux.
– Que vois-je ? cria-t-il de sa plus belle voix. De l’aubépine qui vient de fleurir !…
Et tombant à genoux, il leva les bras au ciel en tonitruant :
– Miracle ! miracle ! Loué soit le Seigneur !
– Miracle ! miracle ! hurlèrent les acolytes, comparses probablement inconscients de la comédie qui se jouait.
– C’est incroyable !
– Et pourtant cela est !
– C’est Dieu qui manifeste sa volonté.
– Mort aux hérétiques !
Ces cris se croisèrent pendant quelques secondes. Puis frère Lubin entonna le
Te Deum
repris en chœur par les gens qui l’entouraient. D’autres, entendant des clameurs, entraient dans le cimetière. Le bruit du miracle, rapidement colporté, se répandait dans tout le quartier ; des gens accouraient, se pressaient parmi les tombes ; au bout d’un quart d’heure, une foule énorme emplissait le cimetière, et chacun put se rendre compte qu’un magnifique buisson d’aubépine avait fleuri en plein mois d’août !… Alors les clameurs montèrent jusqu’au ciel ; les cloches qui avaient paru s’apaiser se remirent à mugir avec plus de fureur…
Frère Lubin cueillit le buisson d’aubépine dont il eut soin de ne pas laisser une seule branche.
Alors, une douzaine de forts gaillards le saisirent, le placèrent sur leurs épaules ; ce groupe fut étroitement entouré par les gens à mine patibulaire que Thibaut avait appelés des
fratres ad succurendum
(frères de renfort).
Et la procession s’organisa. Des prêtres surgirent. Des moines en quantités affluèrent.
Glorieux et reluisant de graisse, Lubin portant dans ses bras le buisson du petit Jacques Clément fut promené à travers Paris ; sur son passage, l’ardeur se ranimait, le massacre reprenait des forces, la grande
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