L'épopée d'amour
chevalier.
Et sa voix avait une prodigieuse intonation.
Il ramassa le fouet… le fouet à chiens.
Et ils s’avancèrent, flamboyants, étincelants, tragiques, souples, grandis, paraissait-il, plus grands que ne sont les hommes, marchant d’un pas rude qui talonnait le pavé derrière eux, comme s’ils eussent foncé sur le génie des tempêtes d’enfer…
Et le rugissement du chevalier retentit au-dessus des tumultes déchaînés.
– Arrière, chiens !… Fils de chiennes !… Arrière, chiens !…
A droite, à gauche, le fouet se levait, s’abattait, sifflait, cinglait…
Et la voix du chevalier, comme la cravache, cinglait, sifflait.
– Arrière, les chiens ! Au chenil, la meute !
Tout à coup, il aperçut Pipeau et dit :
– Pardon, ami ! je t’ai insulté…
Devant le fouet, devant cette lanière vivante, prodigieuse, la foule s’ouvrait. Tigres, loups, chacals, tous les carnassiers rampèrent, se culbutèrent, se bousculèrent à droite et à gauche sur la petite place.
Une ruelle déserte s’ouvrait devant le chevalier : il s’y engouffra…
q
Chapitre 45 ENTRE LE CIEL ET LA TERRE
L e chevalier entra dans la ruelle sans savoir où elle le conduirait.
Au hasard ! à l’aventure !…
Près de lui, le vieux Pardaillan, les deux mains armées, pareilles à deux griffes de lion.
Autour d’eux, Pipeau, fou de joie, fou de fureur, grondant, sautant…
Ils firent face à la foule.
Sur leurs pas, la foule s’était ruée, avait envahi l’étroit passage, massée, tassée, ondulante ; et cela formait un mascaret humain qui s’avançait, roulait, se heurtait, avec des clameurs d’océan.
Pas à pas, face au mascaret, les deux êtres fabuleux, haussés en cette minute aux grandissements surhumains, pas à pas, les deux Pardaillan reculaient.
La lanière du chevalier sifflait, cinglait, marbrait des faces d’où jaillissait un hurlement ; les deux dagues, les deux griffes du vieux routier, du vieux lion, labouraient des poitrines ; Pipeau, à reculons, l’œil en feu, le poil droit, la gueule enrouée, pillait, mordait des jambes…
Le mascaret humain poussé par les vagues qui, au loin, du fond de la place, le refoulait en avant, marchait, déferlait…
Les Pardaillan reculaient…
Où étaient-ils ? Ils ne le savaient pas…
Soudain, à vingt pas derrière eux, il y eut une sourde et puissante détonation suivie d’un fracas de maison qui s’écroule. Le vieux routier jeta un rapide regard vers ce bruit d’explosion. Et il vit alors que la ruelle débouchait sur une rue plus large ; que dans cette rue, une deuxième foule tourbillonnait autour de quelque chose qui ressemblait à une forteresse assiégée ; et qu’un coup de mine venait de faire sauter une partie de cette forteresse…
Donc, devant eux, la horde déchaînée devant laquelle ils reculaient pas à pas…
Derrière eux, cette autre foule sur laquelle ils allaient être jetés…
Un étau dans lequel ils allaient être broyés…
Et soudain, la chose se produisit. Les deux foules se rejoignirent. Refoulés par une vague plus puissante du mascaret, les deux Pardaillan furent jetés sur la horde qui assiégeait la forteresse ; la rue était pleine de fumée âcre, de poussière, de vociférations, de détonations d’arquebuses ; il y eut une mêlée affreuse de cavalerie et de piétons, un remous vertigineux où les Pardaillan furent ballottés, poussés, repoussés ; brusquement, une sorte d’ouverture béante devant eux, ils se retrouvèrent dans un large escalier éventré, rampes démolies, marches déchaussées… Ils se retrouvèrent là… comment ? Qui pourrait savoir ! Ils se retrouvèrent bondissant le long des marches de cet escalier qui ne tenait plus que par miracle… ils montaient, montaient : comme dans les rêves du délire, ils montaient, sans savoir où ils étaient, où ils allaient, sans que nul, parmi la foule, osât se lancer à leur poursuite dans l’infernal escalier qui branlait et vacillait parmi les tourbillons de fumée !…
Ils atteignirent le sommet de l’escalier, étroite plate-forme en plein air qui avait dû être son dernier palier.
Là, il n’y avait plus rien, sinon une haute muraille à laquelle s’adossait encore l’escalier, un mur que l’explosion n’avait pas démoli, et qui seul était resté debout comme on voit parfois dans un incendie.
D’un dernier bond, les deux Pardaillan atteignirent le faîte de cette muraille, large comme on
Weitere Kostenlose Bücher