L'épopée d'amour
ici quand je relève ton gant ?
Aussitôt, il arracha le gant et alla l’attacher à l’arçon de sa selle.
Il attendit une minute, les bras croisés, immobile, tandis que dans Paris se déchaînait le tumulte immense des rumeurs de mort.
Alors, pour la troisième fois, il cria :
– Lâche ! Puisque tu n’es pas ici pour relever ton défi, c’est donc moi qui vais te retrouver !
A ces mots, il monta à cheval et s’élançant au galop, rejoignit son armée au moment où elle venait de franchir le Grand-Pont.
Le maréchal de Montmorency, tenu à l’écart comme nous avons vu, suspect à Guise, haï de la vieille reine, ignorait ce qui devait se passer. L’eût-il su même, il lui eût été impossible de supposer qu’on oserait s’attaquer à un Montmorency.
En effet, non seulement le maréchal était fils aîné, héritier direct de la gloire du nom, successeur de ce connétable Anne qui avait rendu de si éclatants services à la monarchie des Valois et de si terribles à l’Eglise, non seulement il était le chef de la puissante et de la plus noble seigneurie qui fût alors, mais il était catholique lui-même, et sous son père, avait fait les guerres de religion.
Il est vrai que sa conscience, bientôt, s’était élevée et comme purifiée, rejetant les scories d’une religion de meurtre ; mais il avait gardé pour lui ses impressions.
Il est vrai encore que plus d’une fois il avait élevé la voix en faveur des huguenots ; mais sa fidélité aux Valois était demeurée inébranlable, et nous avons vu l’attitude qu’il avait prise devant Henri de Navarre.
Il est vrai enfin que tous les modérés du royaume, tous ceux qui voulaient laisser aux huguenots la liberté de conscience le considéraient comme leur chef naturel, mais il n’avait rien entrepris qui ne pût être juste et légitime aux yeux mêmes du roi de France.
François de Montmorency, donc, se savait suspect, mais non désigné aux coups des massacreurs.
Cependant, la fermeture des portes de Paris, mesure exceptionnelle qui avait paru le menacer directement, l’avait averti, pour ainsi dire, qu’il se tramait quelque chose…
Mais quoi ? Il n’eut su le dire.
A tout hasard, il mit son hôtel en état de défense.
Une douzaine de gentilshommes, les uns catholiques, les autres huguenots, et bons serviteurs de la monarchie, mais comme lui ayant horreur de tant de guerres sauvages, vivaient dans l’hôtel et composaient sa maison, ou, si l’on veut, sa cour.
Le maréchal porta à quarante le nombre des gens d’armes qu’il entretenait.
De plus, il arma les laquais : il y en avait une vingtaine dans l’hôtel.
Tout cela formait un total d’environ quatre-vingts combattants. L’hôtel fut abondamment pourvu de poudre, de balles, de mousquets de pistolets et d’armes de toute nature, des provisions de bouche pour un mois y furent entassées.
Lorsque tout cela fut fait, le maréchal se prit à sourire et haussa les épaules, croyant vraiment avoir exagéré les précautions.
La successive disparition du vieux Pardaillan et du chevalier raviva ses inquiétudes.
Qu’étaient-ils devenus ? Comment le savoir ?…
Dès lors, tous les soirs, l’hôtel fut barricadé ; des rondes furent organisées…
Pendant ces quelques journées, Loïse vécut auprès de sa mère. La douce folie de Jeanne de Piennes demeurait invariable dans ses manifestations : toujours elle se croyait à Margency et on la voyait prêter l’oreille en murmurant :
– Le voici qui vient… Je vais lui dire… Oh ! je tremble…
Et si François apparaissait alors, le cœur serré, les bras vaguement tendus vers celle qui l’avait tant aimé, la folle le regardait d’un air étonné, sans le reconnaître.
Quant à Loïse, si elle souffrit de l’inexplicable disparition du chevalier, il fut impossible de le deviner ; son pur et fier profil de vierge ne s’altéra pas ; elle parut uniquement occupée de sa mère.
Seulement, l’inquiétude faisait peut-être de terribles ravages dans cette âme.
Le samedi soir, comme elle s’était assise près de Jeanne de Piennes, s’occupant à un travail de broderie, ses doigts fins et blancs comme de l’albâtre s’arrêtèrent tout à coup, ses yeux rêveurs parurent fixer un point dans l’espace ; la folle, qui semblait sommeiller, se redressa soudain, se pencha, et, la figure extasiée, murmura :
– Enfin !… le voici !… Oh ! quand viendra-t-il ?…
Peut-être ce mot
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