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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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l’on n’entend que le martèlement traînassant des souliers sur les pierres du chemin. Nuit noire. Les fermes se raréfient. Subitement : u.. e lumière crue, blanche, éblouissante, de multiples projecteurs placés là, comme pour quelque illumination de fête. Nous avons une première vision de ce que peut être la déportation. A droite, l’énorme masse de la forteresse, car Mauthausen n’est pas un camp comme les autres, mais une forteresse de granit, vrai nid d’aigles et de corbeaux, aux murs hauts et épais, surmontés d’une quadruple rangée de barbelés électrifiés, montés sur porcelaine. De loin en loin et aux angles, des massives tours rondes ou carrées, avec le chemin de ronde où l’on aperçoit l’homme avec sa mitrailleuse.
    – Un silence de mort règne dans ce lieu, alourdi peut-être encore par tout le poids de la terreur
    soudaine qui écrase nos esprits. Sur la gauche en contrebas, des êtres faméliques, maigres, véritables cadavres vivants, se sont arrêtés de gratter la pierre et de remuer les pierres. Ils nous regardent passer, nous qui venons d’un monde qu’ils ont quitté, mais nous, nous regardons avec plus de curiosité encore ces fantômes grotesquement habillés pour quelque carnaval, de cet uniforme rayé si tristement célèbre aujourd’hui, mais que nous voyons pour la première fois.
    – Nous contournons des maisons basses et longues, en beau granit. Le chemin monte toujours, nous longeons encore les murs de la forteresse et soudain, devant nous, sur le plateau, illuminée comme pour une prise de vue, apparaît l’entrée de la sinistre prison. Devant nous, oui, cette entrée, une énorme porte « Mongole » à deux grosses tours carrées, évasées vers le bas, se présentaient en face comme deux trapèzes équilatéraux surmontés d’un habitat vitré, entouré d’un chemin de ronde. Elles encadrent un portail aux lourds ventaux de chêne clair, flanqué lui-même de deux portes de service. Nous sommes atterrés et une angoisse indéfinissable nous étreint devant cet ensemble monumental et menaçant qui se détache sur le ciel étoilé, et nous avons l’impression que nous entrons à nouveau dans une prison. Et quelle lugubre prison : un tombeau, le mot est plus exact !
    – Les 1 800 hommes s’engouffrent, à peine comptés. Dans le camp endormi, le silence est total. Le martèlement de nos pas semble n’éveiller personne, ne susciter aucune curiosité. Pourtant l’on doit nous regarder de l’intérieur des blocks. L’arrivée de convois, de « transports » est monnaie courante et fait partie de la vie même des camps. Nous saurons d’ailleurs bientôt que c’est la seule chose qui soit vraiment vivante dans ces camps que nous n’appelons pas encore « de la mort », que ces arrivées massives de détenus récemment raflés dans quelque région occupée de la vaste Europe, et qui viennent périodiquement renouveler le formidable déchet humain. Les S. S. avec leurs chiens nous surveillent, nous guettent, distribuant déjà à profusion à ces hommes qui ne seront bientôt plus que des numéros, coups de pied et coups de poing, sans doute pour créer l’ambiance et leur faire comprendre qu’ils ont sur eux droit de vie et de mort, et qu’ils ne se feront pas faute d’en user. Je revois dans la lumière crue des lampes électriques, les blocks longs et bas en ordre parfait, sur. la gauche. A droite un bâtiment plus important, la buanderie avec dans ses sous-sols la salle de douches où nous passerons tout à l’heure. Nous contournons la buanderie, quittant la place d’appel, l’appelplatz, qui sert d’allée centrale au camp, et nous nous retrouvons dans un espace plus restreint, limité par le bâtiment et le mur d’enceinte.
    – Parmi nous circulent maintenant toutes sortes de gens. Espagnols pour la plupart, assez inquiétants semble-t-il. Ils sont habillés en civil, mais leurs vêtements sont rayés de haut en bas d’un large coup de peinture rouge. Ils sont coiffés d’une casquette de marin, elle aussi rayée de peinture rouge et curieusement pincée devant, comme je l’ai vu depuis aux marins de Hambourg. Nous apprendrons plus tard que cette coiffure est un signe de suprême élégance, dans le camp, mais aussi en quelque sorte l’emblème de la puissance des kapos et autres « fonctionnaires », séides et sicaires des seigneurs. Pour l’instant, ils nous intéressent (bien que nous nous rendrons compte

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