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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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lavées, sales, infectes par l’aspect et l’odeur puis on nous verse un quart d’une tisane noirâtre à prétention de café. Après cela, tout le monde dehors, dans le jour naissant. Nous grelottons tous à nouveau dans nos haillons légers, attendant avec impatience le lever d’un soleil qui s’annonce radieux à l’horizon. Et, pendant toute notre captivité, nous rechercherons ce soleil si rare en terre autrichienne, pour réchauffer et ragaillardir nos membres engourdis, endoloris, ankylosés, amaigris.
    – Nous sommes environ six cents dans ce block, en cette belle journée du 9 avril. Dimanche de Pâques, premier jour réel de notre captivité au konzentrationlager de Mauthausen, ou K. L. M. en abrégé. Et notre première pensée se porte vers la France où des êtres chers, mille huit cents familles, ignorent encore notre misère débutante, sans nouvelles de nous depuis longtemps. Dimanche de Pâques, jour de la Résurrection et du renouveau et ce sera pour nous le point de départ d’un calvaire, où mille cinq cents d’entre nous laisseront leur misérable vie.
    – Nous mourons de faim. A quand la soupe et que sera cette soupe ? Malgré notre fatigue, nous faisons les cent pas pour nous réchauffer, dans la cour du block, pavée de grosses pierres inégales où dans nos mauvaises chaussures à semelles de bois et qui nous blessent, nous nous tordons les pieds. Ce n’est sans doute qu’une invention de plus de ces esprits diaboliquement malfaisants, que cette cour au sol inégal, où l’on ne peut ni marcher, ni s’asseoir, ni se coucher. Dans le jour qui vient, notre block apparaît mieux et plus réel que sous les lampes électriques : un baraquement en bois très coquet, peint en blanc et vert, avec des fenêtres démontables. Tout le long court un parterre où sont plantées des fleurs. Au centre l’entrée avec un large escalier orné de pots de fleurs, peints de vives couleurs. Un vestibule, en face des w.c. très modernes et confortables, cuvette-siège, chasse d’eau, etc. mais dont nous ne nous servirons que la nuit. Dans la journée, on découvre la dalle de l’égout central et quatre par quatre, pendant que d’autres, pour uriner en même temps, leur arrosent les reins… léger détail ! Symétriquement aux w.c., les lavabos, vasque en granit circulaire avec une multitude de petits trous par où jaillit l’eau. Tout autour du local, des robinets. Le block est divisé en deux parties absolument semblables, « Stube A stube B » (chambres). Avant la grande chambre où logent les « pensionnaires », une plus petite réservée au block Altester et au Schreiber, ainsi qu’aux « Stubendienst » (domestiques) presque toujours jeunes, éphèbes, dévoyés et vicieux, sadiques comme nous le verrons, utilisés par ces deux personnages pour leurs divertissements très particuliers. Dans cette pièce règne un confort relatif, un poêle pour les petits plats cuisinés avec ce qui est volé sur nos rations.
    C’est là que le pain, la mortadelle, la margarine, le café, la soupe, etc. sont entreposés avant les distributions. Terminant la moitié du block, l’autre moitié étant absolument identique. Une grande chambre de douze mètres sur dix environ, soit à peu près une surface de cent vingt mètres carrés, au fond de laquelle sont empilées les paillasses. Ce sont ces paillasses qui, chaque soir à 6 heures, sont étendues sur le parquet, serrées de telle sorte que, se touchant toutes, le sol en est entièrement recouvert.
    – Le coucher, chaque soir, donne lieu à des calculs, à des querelles, à des bagarres même, auxquelles vient mettre fin la trique du « blockaltester » qui tombe sur les échines sans parcimonie. Dans cet espace restreint de cent vingt mètres carrés, trois cents hommes environ doivent trouver place, trois cents hommes qui coucheront à quatre par paillasse, en « sardines » (tête-bêche), trois par mètre carré environ. A l’heure du coucher nous entrons tous, galoches en main, dans la chambre. Il nous faut d’abord nous mettre sur huit rangs correspondant aux quatre rangées de paillasses, huit rangs de trente-cinq à quarante hommes qui restent debout, collés les uns contre les autres. Au coup de sifflet, tout le monde se couche, chacun ayant sur la bouche les orteils de celui d’en face. Les couvertures sont distribuées, les fenêtres enlevées, maintenant il s’agit de dormir, ce qui sera pratiquement impossible

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