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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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les cuisses des pantalons, des grandes lettres S. U. (Soviet Union). Jamais ils ne passeront en quarantaine. Jamais ils ne toucheront la tenue zébrée. Ils ont été employés tout de suite, en « renfort », au terrain de « futbol », mais en restant séparés des autres groupes de détenus. Avec eux, S. S. et kapos ont fait d’horribles massacres. C’est pour cette raison que les Républicains espagnols ont baptisé ce terrain : « Camp russe ». Le nom de « Russenlager » est resté à jamais dans le vocabulaire du camp. Même les S. S. l’employaient.
    – A côté du « Futbol », les S. S. ont voulu monter un camp de détention pour les Russes… Mais vers l’été 1942, ils changèrent d’idée et affectèrent ces lieux à un camp sanitaire ou Revier. Le nombre des déportés en provenance de toute l’Europe augmentait. Les maladies également.
    – Le jour où mon groupe est sorti travailler en ces lieux, pour la première fois, c’était le lundi 5 janvier 1942. Un jour froid, gris avec un ciel couleur de plomb. Neige et glace. Le vent du Nord hachait les visages et vous coupait le souffle.
    – Nous arrivâmes sur le chantier avant les Soviétiques. Un kapo « avec galon », et manche de pioche à la main, nous ordonna de prendre des pioches et des pelles. On nous dit où nous devions travailler et en quoi consistait notre travail. Il fallait, premièrement, balayer la neige et ensuite piocher la terre gelée, charger des wagonnets et les vider près des barbelés. Le kapo nous donna l’ordre d’enlever le manteau qui, malgré sa trame de peau d’oignon, nous préservait un peu du froid. En face de nous travaillait le groupe des Soviétiques. Comment expliquer et décrire tout ce que ce matin nous avons vu et vécu ?
    – C’était la première fois de notre vie que nous assistions à un tel massacre. Un spectacle hallucinant. A devenir fou. Les kapos, dirigés par les S. S., comme des fauves affolés, frappaient sans arrêt sur les têtes et les dos des Soviétiques, en les injuriant et en les bousculant. Nous avons vu des têtes éclater, des hommes tomber pour toujours. Le vacarme des cris était infernal. Les Soviétiques ressemblaient à de véritables squelettes et, pourtant, il était facile de deviner qu’en d’autres temps ces hommes avaient dû être forts et larges. Aujourd’hui, des spectres. Ils flottaient dans leurs vêtements déchirés. Déjà des têtes de cadavre. Peau brûlée, séchée, noire. Des yeux perdus mais avec, encore, malgré tout, un peu de fierté. Ils étaient pieds nus dans la neige.
    – Affaiblis, ils devaient se mettre à six ou huit pour pousser un wagonnet… qui roulait lentement malgré le matraquage des kapos. Vers 10 heures plus de vingt hommes avaient été assassinés. De leur moral, j’ai gardé un souvenir. Un wagonnet venait de dérailler.
    Avec quelques Espagnols, je me suis précipité pour les aider dans cette manœuvre qu’ils étaient incapables d’effectuer. Un kapo s’acharnait sur eux, puis sur nous. Au début, les Soviétiques se sont montrés surpris. Nous avions des visages normaux, nous les aidions… L’un d’eux nous demanda :
    – « Rotspanier ? »
    – « Ja ! Rotspanier. »
    – Et dans le patois international du camp, il nous dit :
    – « Hitler kaput ! Staline arriver. Staline n’oublie pas les camarades… »
    – Puis ils nous ont fait comprendre que l’Union soviétique gagnerait la guerre. Et malgré les coups de gummi, au moment de nous séparer, ils nous ont dit : « Espassiva Tovaritch ! »
    – Nous pûmes nous approcher d’eux au rassemblement de midi. On rentrait au camp pour déjeuner. Ils tenaient à peine debout. Marionnettes couvertes de sang, transportant leurs morts à l’entrée du chantier et les alignant pour que l’on puisse les compter sans effort. J’en revois un… la tête ensanglantée. Le sang avait gelé. C’était un tas méconnaissable de chairs et d’ossements écrasés. Il avait eu le crâne fracturé par un manche de pioche. Nous étions épouvantés devant un tel spectacle, ce qui fit dire à l’un de mes camarades :
    – « Ici, on nous tuera tous. »
    – Pourtant les Soviétiques étaient tranquilles comme des gens habitués à de telles choses. En les regardant, nous nous sentions privilégiés. Dans l’après-midi, même scénario avec une seule variante : plusieurs furent poussés dans les barbelés et fusillés. Peu avant

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