Les 186 marches
dura plus de cinq jours ! Rare était le jour où on ne voyait pas par terre cinq ou six déportés avec la tête ouverte.
Matucher, fier de ses exploits et de la confiance que lui manifestaient les S. S. – ne lui confiaient-ils pas les tâches les plus dures comme, par exemple, l’extermination du premier groupe de Yougoslaves arrivé à l’automne 1941 ? – perdit toute réserve et toute prudence. Matucher aurait dû savoir que, dans un camp de concentration, personne, même un kapo admiré, ne doit franchir certaines limites. Il avait réussi à monter patiemment un trafic lucratif d’alcool frelaté. Et les S. S., oisifs ou cafardeux, participaient aux orgies qu’il dirigeait dans la baraque servant de magasin au kommando. Il eut des « relations intimes » avec certains S. S. et même leur femme (des S. S. habitaient, début 1942, avec leur famille ces villas que nous venions de terminer tout en continuant à aménager les alentours). Le kommandoschreiber – homosexuel notoire – fut mêlé à son histoire. Quant au S. S. kommandoführer, aucun doute sur sa nature puisque les Espagnols l’avaient surnommé « la Senorita »… et Matucher était très lié à « la Senorita ».
Les rumeurs provoquèrent une enquête. Devant l’avalanche de preuves, Matucher, son secrétaire et deux autres kapos furent placés un matin face au mur de la tour d’entrée. Prélude, la plupart du temps à l’extermination. Dans la nuit, le chef du camp, Bachmayer, avec quelques S. S., leur firent subir les mêmes tortures qu’ils avaient infligées aux déportés, avec le raffinement caractérisant les S. S., comme pour montrer que leurs méthodes étaient bien au-dessus de toutes celles employées par les kapos et chefs de block. Tout fut employé et, à l’aube d’un matin gris de Mauthausen, Bachmayer fit lâcher les chiens qui déchirèrent en lambeaux les chairs des quatre bandits du « Siedlungsbau »…
Deux heures plus tard ; le corps de Matucher, le plus abject des tueurs de Mauthausen, était dépecé complètement par les chiens de ceux qui l’avaient encouragé à exterminer les déportés, mais qui ne pouvaient souffrir qu’un assassin, n’étant pas S. S., puisse se hisser à leur niveau…
AU JOUR LE JOUR
– LE « Russenlager ». On ne parlera jamais assez de ce coin du camp de Mauthausen. Nous l’avons connu dans ses moments les plus dramatiques. Au nord-ouest de l’enceinte principale, au-delà du terre-plein sur lequel nous tracions les routes d’accès à l’entrée principale, il y avait une sorte de vaste terrain vague, en pente, tourmenté, parsemé de monticules, de futaies, de broussailles. Ce « territoire » se trouvait à l’intérieur de la seconde enceinte de barbelés. En 1940, le commandant du camp a décidé de faire niveler l’ensemble de cet espace désert pour que les troupes S. S. puissent disposer d’un terrain de sports et de nouveaux cantonnements. De fait, la direction hésita longuement avant de fixer une attribution particulière à ce lieu. Le premier nom du kommando affecté à ces travaux fut « . Sportsplatzkommando ». Le chantier dépendait du Baukommando. Ce furent évidemment les premiers Espagnols arrivés en 1940 et début 1941, qui furent désignés pour mener à bien la tâche. En définitive, au cours de l’été 1943, le terrain de sports s’était transformé en hôpital. Ce que nous appelions le « futbol » fut terminé vers la fin de 1941 et l’on peut dire qu’il a été arrosé journellement par du sang espagnol. Aux premiers jours de novembre 1941, trois mille prisonniers de guerre soviétiques furent parqués dans les baraques 16,17,18 et 19 du camp. Parfaitement isolés et gardés, on plaça sur les barbelés un curieux écriteau : « Kriegsgefangenenlager », camp de prisonniers de guerre. Quelques jours plus tard, le panneau initial fut remplacé par un second dont on appréciera le cynisme : « Kriegsgefangenenarbeit-slager », camp de travail de prisonniers de guerre. Et pour compléter la mise en scène, on affubla leurs gardiens, des droit commun, de tenues pittoresques : casque prussien à pointe de la guerre 14-18, et uniforme rutilant de l’ancienne garde royale yougoslave. Grotesque. De vrais clowns. Clowns sinistres et assassins.
– Les prisonniers soviétiques dans leurs loques militaires, rapetassées, vont défiler devant un peintre qui trace dans le dos des vareuses ou des blousons, sur
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