Les 186 marches
maigre, transparent… Et nous étions, nous, si faibles que nous n’avions plus la force de le soutenir. Il s’est affaissé. Il a glissé. Nos muscles ont lâché. Il est tombé. Arrivé près de nous, le S. S. s’arrêta et cria : « Debout ! seau de merde ! » Notre ami polonais ne bougea pas. Alors le S. S. mit sa grosse botte sur la gorge de l’homme à terre, de l’homme vaincu. Il appuya. Il appuya jusqu’au dernier sursaut de vie. Puis il reprit son inspection. Droit. Souriant. Pas cadencé. Martial. Le sentiment d’horreur que j’éprouvai alors m’est resté cloué dans le cœur à tout jamais.
★ ★
– En janvier 1941, j’eus la chance d’être affecté à l’atelier du camp, dont le kapo était d’origine hongroise : il s’appelait Rudolf Tarnoczy et avait le n° 502. Je faisais partie de l’organisation clandestine du Parti communiste espagnol et j’étais aussi en rapport avec Ernest Woghl, communiste allemand interné depuis 1936 ; travaillant à la Wäscherei, ce camarade nous avait déjà beaucoup aidés. Quand il fut au courant de ma nouvelle affectation, il me posa une question de confiance de grande importance.
– Il me dit que dans l’atelier ils étaient en train d’arranger des appareils de radio des S. S. Il fallait essayer d’écouter les nouvelles avec ceux-là… une chose très dangereuse mais nécessaire, disait-il. Il me demanda mon opinion à ce sujet, et, en même temps, si j’étais disposé à accepter la mission. Je répondis oui. Il me dit que celui qui s’occupait des appareils de radio était un vieil Autrichien de soixante ans, Joseph Steinninger. En cherchant son amitié, tout allait bien pour écouter les appareils réparés, mais les résultats étaient maigres : la présence des S. S. empêchait toutes les initiatives, je ne pouvais écouter plus de deux ou trois fois par semaine. Mes emplois pour divers travaux comportaient certaines difficultés que je résolus, à la satisfaction du S. S.
– D’une manière inespérée, il se forma dans l’atelier un nouveau groupe pour tes travaux spéciaux. Ce fut la base qui nous permit d’avoir ensuite un récepteur « particulier ». En montrant le nouveau groupe, il me vint à l’idée de construire un appareil de radio pour pouvoir écouter. Comme ils étaient très contents de mes travaux, je jouissais d’une « certaine considération » dont je profitai sans perdre de temps. Le camarade Woghl m’avertit que je devais faire très attention, avec le vieux, qui dans le camp vendait des nouvelles à n’importe qui en échange de tabac. Il était d’accord avec mon idée, et si cela était réalisable, ce serait d’une grande importance, dit-il. Il m’avertit de nouveau que je devais faire attention à tout. Au nom de mes camarades, il me félicita.
– Je profitai de toutes les possibilités pour la construction de l’appareil prévu. Chaque jour je faisais quelque chose pour nous en volant des pièces de montage de radio et les lampes nécessaires. Ce me fut facilité par le fait que les S. S. ne comprenaient rien à ce métier, et cela nous arrangeait. Je regrettai que l’appareil ne soit pas terminé quand la guerre commença entre l’U. R. S. S. et l’Allemagne. Le camarade Woghl me demanda combien de temps il fallait pour le terminer ; je lui dis que je le ferais le plus vite possible. Il me dit que pendant un certain temps il ne viendrait pas me voir. Si j’avais quelque chose à lui dire, je passerais à sa baraque n° 2, stube B. Faisant très attention, j’activais la construction de l’appareil et essayais d’avoir des nouvelles du monde.
– J’avais trois consignes importantes : radio, médicaments, nourriture. La base de notre résistance au camp. Quand j’ai eu à aller hors de l’atelier pour faire des travaux spéciaux comme arranger la « machine de caisse » de la cantine des S. S., je ne revins jamais à l’atelier sans « organisiert ». La même chose pour les magasins d’alimentation : de la nourriture pour les malades, ou si j’ai dû aller à l’infirmerie du S. S., je revenais toujours avec des médicaments qui étaient bien utilisés. Quand il y avait besoin d’un médicament et que les camarades espagnols me le demandaient par l’intermédiaire de Woghl, on l’obtenait toujours. Plusieurs fois le kapo nous aida. Il obtenait ce qui nous manquait, et lui-même organisait notre résistance avec nous.
– Au mois
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