Les 186 marches
existait une hiérarchie dans la bestialité, Matucher mériterait la palme. Aux côtés du kapo-chef Maryan qui dirigeait la marche des travaux du Baukommando, il était plus particulièrement chargé de contrôler les déportés affectés aux tâches les plus fatigantes. Obéissant « sans interprétation » aux ordres des S. S., il allait toujours au-delà des consignes ou des désirs, en s’acharnant avec raffinement sur les plus faibles. Brutal, inhumain, « sans tripes », il devint rapidement le tortionnaire numéro un et supplanta tous les autres kapos dans l’horreur. Ces derniers comme Fritz (pendu après sa tentative d’évasion) le craignaient et Matucher le sentant ne se privait pas de manier le gummi sur le dos de ses anciens amis. La chose ne s’était jamais vue à Mauthausen.
Trapu, tout en muscles, il était doué d’une force incroyable. Ses yeux, d’un gris lavé, donnaient au regard une sorte de transparence. Yeux et regard sans Manuscrit inédit Mariano Constante (novembre 1973) vie. Ses yeux cependant s’injectaient de rouge lorsqu’il commençait à frapper. Quant à son gros visage rouge et congestionné, il tournait au violet à la moindre « colère ». Crâne rasé, il frappait avec méthode, recherchant les « points faibles » du malheureux qu’il poursuivait. Il ne le regardait jamais en face. Des yeux de crabe. Lorsque ses pieds et ses bras entraient en transes, il se mordait la langue et fonçait. Il négligeait rarement les voisins du matraqué qui se retrouvaient cloués au sol, frappés par le tonnerre. Il cognait presque toujours avec la paume de la main pour ne pas se démolir les doigts. Coups terribles. Brute ignoble. Fou sadique.
Ce fut ce démon que les S. S. choisirent pour diriger les travaux de construction de leurs villas. La première pierre fut posée au printemps 1941. Le kommando prit le nom de « Siedlungsbau » (cité jardin).
Pour seconder Matucher dans sa tâche, une demi-douzaine de kapos, parmi les plus en vue des S. S., furent retenus par Ziereis et Bachmayer. Trois d’entre eux étaient les kapos de la « Straffkompanie » : Meyer, Christian et ^elzer Yup. C’est ainsi qu’encadrés par de tels monstres, trois cents à trois cent cinquante Espagnols franchirent, pour la première fois, le porche. Ce que fut l’odyssée des Espagnols, sous les ordres de cette cohorte d’assassins pendant de longs mois, est presque impossible à décrire. Jusqu’à la fin de l’automne 1941, chaque jour, vingt à quarante Espagnols étaient « mis hors d’état de poursuivre les travaux ».
Matucher, parfaitement maître de l’éventail des tortures et vexations « à la mode », dans l’ensemble des kommandos durs (et qu’il ne négligeait pas d’appliquer) aimait surtout improviser des traitements spéciaux, plus raffinés. Quand un prisonnier demandait la permission de se rendre aux latrines et qu’il tardait un peu à revenir, Matucher bondissait sur le mur qui surplombait les « feuillets » et bombardait les déportés de pierres en essayant de les atteindre aux parties génitales. Et le salaud visait bien. Quand il voyait ainsi un prisonnier se tordre de douleur, il appelait d’autres kapos pour qu’ils participent à la réjouissance.
Une autre « invention » raffinée de Matucher se déroulait tous les jours, au moment de la distribution de la soupe de midi. Il la distribuait lui-même, sous les yeux des S. S. qui savaient que Matucher leur procurerait quelques minutes de sadique plaisir : parfois il faisait trébucher la louche sur le bord du bouteillon, renversant la moitié du contenu, et attendait les plaintes du malheureux, frustré de la moitié de sa ration. Comme un cyclone, il se lançait alors sur le « contestateur », le jetant par terre avec sa gamelle de soupe. Il en était de même avec tous les déportés se trouvant près de lui, et c’était une véritable mêlée qui s’écrasait par terre, renversant le peu de nourriture restant dans leur assiette. Mais le summum de la barbarie était atteint au moment où il demandait à ceux qui avaient faim de se mettre en rangs pour recevoir quelques cuillerées de soupe de « rabiot ». Il trouvait chaque jour un prétexte nouveau pour déclencher « l’offensive ». Il suffisait qu’une tête ne lui revienne pas pour commencer à distribuer ses coups, donnés à cette occasion avec la lourde louche servant à la distribution… Jamais une louche ne
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