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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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depuis peu, qui m’enchantait. En ce temps-là, ce n’était encore qu’un jupon renforcé de cercles de jonc vert qui constituaient l’armature en forme de cloche soutenant une ample jupe soyeuse.
    Depuis lors, nous avons amélioré l’ampleur de nos vertugades par des bourrelets, des roues, ou des tambours plats qui les élargissent encore davantage. Tel qu’il était, celui de mes quinze ans ingénus me remplissait de fierté.
    Dans le seul but d’entendre le bruissement de la soie qui accompagnait chacun de mes pas, je marchais de long en large dans ma chambre. Trop jeunes encore pour être admises à la Cour, mes trois petites sœurs, Marie, Jeanne et Jacqueline, se divertissaient en me voyant faire et se moquaient de moi. Je n’en avais cure. Impavide, je les ignorais en foulant le tapis de mes chaussures de satin brodées de roses. J’admirais aussi la toile d’argent de ma cotte que découvrait par-devant le taffetas de la robe ouverte en triangle.
    Mon véritable souci demeurait la couleur de mes cheveux. Sombres et frisés, et bien qu’emprisonnés dans un escoffion, ces résilles qui ne sont plus de mode à présent, je jugeais qu’ils étaient encore bien trop visibles. En dépit du chaperon formé de deux cercles de perles et du voile de soie qui les recouvrait sur la nuque afin de flotter librement sur mes épaules, il était flagrant que j’étais brune ! Or, en ce pays, depuis toujours, la beauté se doit d’être blonde ! C’est pourquoi je jalousais en silence Jacquette Maslon, la fiancée de Jean, mon frère aîné, que je trouvais pourtant un peu grasse, mais dont la nuance mordorée me semblait une perpétuelle provocation !
    N’avoir ni chevelure claire ni carnation de lait me désolait… Après mon mariage, tu le sais, j’ai cédé à la mode. Soigneusement teinte, je suis devenue blond vénitien. Jusqu’à la quarantaine, tout au moins… Ce qui a permis à Ronsard de me chanter tantôt sous une couleur, tantôt sous une autre. Je crois néanmoins qu’il me préférait telle que la nature m’avait faite et que je suis redevenue ensuite.
    Ce goût peu en accord avec la mode s’explique sans doute par la loi des contrastes. Pierre ne ressemblait-il pas lui-même à un Gaulois ? À moins que son choix ne découlât de la séduction que l’Italie exerce de notre temps sur les artistes français et étrangers. Je tiens en effet de mon père un type florentin très affirmé. Avec ma peau ambrée et mes yeux noirs, je ressemble plus à certains portraits des peintres italiens qu’à une Vendômoise…
    Quoi qu’il en soit, ce fameux soir, mon apparence finit par me satisfaire quand même. Surtout lorsque ma mère, qui veillait à ma toilette, m’eut attaché au cou un collier d’or, suspendu à mes oreilles deux grosses perles en poires, passé aux doigts une bague où scintillait une améthyste rose puis un second anneau surmonté d’un camée.
    Dans cette robe de Cour, parée comme je ne l’avais jamais été, je me trouvais soudain étrangement embellie.
    L’heure venue, je suis donc partie d’un pied léger vers un destin que nul ne pouvait soupçonner.
    Bien qu’arrivé à Blois le matin même, le roi François, qui adorait les fêtes et ne les appréciait que somptueuses, avait eu soin de faire convier plusieurs jours à l’avance la noblesse et les notables de notre province.
    Quand je pénétrai avec mes parents dans la grande salle du château, tout le monde était déjà présent. Te rappelles-tu, Guillemine, comme mon père tenait à accomplir des entrées remarquées et donc tardives partout où il se rendait, ce qui lui valait des observations ironiques de la part de sa femme et de certains de ses amis ?
    Éclairée par des centaines de flambeaux en cire blanche, l’immense salle où nous nous trouvions enfin contenait entre ses murs couverts de tapisseries une foule d’invités bruissant et paradant. Sous le plafond lambrissé décoré de fleurs de lys d’or sur fond d’azur, ce n’était que têtes agitées comme épis frémissants, vêtements de teintes suaves, pierreries, métaux de prix, irisations des perles, des satins, des sourires. Quand on n’avait plus que peu de dents, on serrait les lèvres, quand on était sûr de sa denture, on riait à gorge déployée…
    Dans une tribune ornée de guirlandes de fleurs, au fond de la pièce, des musiciens jouaient des airs de danse.
    Installé dans un fauteuil à haut dossier armorié,

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