Les amours du Chico
parlait, lui, que
de Pardaillan. C’était désespérant : elle l’eût battu si elle
ne se fût retenue.
Notez que si le petit homme avait paru oublier Pardaillan pour
ne songer qu’à lui-même, il eût obtenu probablement ce même
résultat de l’exaspérer. Alors ? direz-vous. Alors ceci prouve
que lorsque l’amour est en jeu, il n’y a pas à finasser, ni à
raisonner. Il n’y a qu’à suivre les impulsions de son cœur. Si
l’amour est vraiment fort et sincère, il trouvera toujours moyen de
triompher.
Au bout du compte, naïvement, sans malice et sans calcul
d’aucune sorte, peut-être le Chico avait-il trouvé, sans le
chercher, le meilleur moyen de forcer le cœur de celle qui, de son
côté, sans s’en douter assurément l’aimait peut-être autant qu’elle
en était aimée.
Peut-on jamais savoir avec les femmes, surtout quand elles
s’avisent, comme la petite Juana, de vouloir jouer au plus fin avec
l’amour ! Il arrive toujours un moment où elles sont les plus
punies de leur inutile malice.
Ayant vu ses petites ruses échouer les unes après les autres,
Juana se résigna à ne pas sortir du sujet de conversation qu’il
plaisait au Chico de lui imposer, espérant bien se rattraper après
et reprendre, avec succès, elle l’espérait, ses efforts interrompus
pour l’amener à se déclarer.
Pour être juste, nous devons ajouter que la certitude qu’elle
avait qu’il ne serait question que de Pardaillan, jointe à la
volonté bien arrêtée de le sauver, si c’était possible, aidèrent
puissamment à la faire patienter. Mais il fallait bien que ce fût
pour Pardaillan, et le sacrifice qu’elle faisait était en somme
méritoire.
– Seigneur Dieu ! dit-elle, avec une pointe
d’amertume, comme tu en parles ! Que t’a-t-il donc fait que tu
lui es si dévoué ?
– Il m’a dit des choses… des choses que personne ne m’avait
jamais dites, répondit énigmatiquement le nain. Mais, toi-même,
Juana, n’es-tu pas résolue à le soustraire au supplice qui
l’attend ?
– Oui, bien, et de tout mon cœur. Je te l’ai dit.
– Tu sais qu’il pourrait nous en cuire de mettre ainsi
notre nez dans les affaires d’État. Le moins qui pourrait nous
arriver serait d’être pendu haut et court. C’est une grâce que
notre sire le roi n’accorde pas facilement. Et je crois bien que
nous ferions préalablement connaissance avec la torture.
Il disait cela avec un calme extraordinaire. Pourquoi le lui
disait-il ? Pour l’effrayer ? Pour la faire
reculer ? Non, car il était bien résolu à se passer d’elle et
à ne pas la compromettre. Il voulait bien risquer sa vie et même la
torture pour son ami. Mais l’imposer à elle, la voir mourir !
Allons donc ! Est-ce que c’était possible, cela !
Tout ce qu’il voulait d’elle, c’était d’être renseigné sur la
valeur de sa trouvaille. S’il lui avait fait entrevoir les suites
probables de leur ingérence dans les affaires de l’État, comme il
disait, c’était pour peser en quelque sorte son dévouement à elle,
et régler le sien propre.
Et puis, après tout, il lui paraissait juste et légitime qu’elle
connut la valeur exacte du sacrifice qu’il faisait. Il n’avait que
vingt ans, il avait bien quelques raisons de tenir à la vie. Et
s’il en faisait l’abandon, de cette vie, il tenait à ce qu’elle
n’ignorât pas qu’il l’avait fait à bon escient.
Il était si petit, elle était depuis si longtemps habituée à le
considérer comme un enfant que cette idée pouvait lui venir de
croire qu’il avait agi sans discernement et que s’il avait su à
quoi il s’exposait, il se serait certainement abstenu. Cette idée
que sa mort pouvait passer pour le fait d’une inconséquence lui
était insupportable.
Elle, en entendant parler de pendaison et de torture, n’avait pu
réprimer un long frisson. Dame ! qu’on se mette à sa
place ! Elle était à l’aube de la vie. Elle ne connaissait
rien. En dehors de sa maison, qui était son domaine à elle, elle
ignorait le reste de l’univers.
En dehors de son père, du Chico et de ses serviteurs qui étaient
ses seuls amis, elle ne connaissait personne. Mais le peu qu’elle
savait de la vie n’était pas si dédaignable et, à tout prendre, son
père, notable bourgeois, avait su mettre de côté de quoi lui
assurer sa vie durant une aisance large qui à l’époque pouvait
passer pour de l’opulence. Quitter tout cela pour un homme
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