Les amours du Chico
ces
paroles avaient été dites. Il ne doutait pas qu’elles ne fussent
l’expression de la vérité. Il ne redoutait rien de Pardaillan, un
instinct sûr lui assurait que le seigneur français était la loyauté
même. Pardaillan avait ajouté :
– Ta Juana ne m’aime pas, ne m’a jamais aimé.
Et là, le doute le reprenait. Tant que son grand ami ne parlait
que de lui-même, il pouvait s’en rapporter à lui et le croire sur
parole. Mais lorsqu’il parlait des autres, il pouvait se tromper.
D’après les paroles de Juana, il croyait comprendre que Pardaillan
avait dû lui parler, la moraliser, lui faire entendre qu’elle
n’avait rien à espérer de lui. Cependant Juana ne reculait pas
devant l’évocation terrifiante de la torture et revendiquait, avec
un calme souriant, son droit à participer au sauvetage de celui
qu’elle aimait encore et malgré tout. Pour lui, c’était clair et
limpide : Juana aimerait, sans espoir et jusqu’à la mort, le
sire de Pardaillan, comme lui il aimerait Juana jusqu’à la mort et
sans espoir. Dès lors, à quoi bon vivre ? Sa résolution devint
irrévocable. Il se condamnait lui-même.
Telle était la conclusion qu’il tirait des paroles imprudentes
de la jeune fille. Ah ! si elle avait pu deviner ce qui se
passait dans sa tête ! Mais comment aurait-elle pu deviner
devant son impassibilité !
Car, il avait la force de rester impassible. Et c’était encore
une des bizarreries du caractère de cet étrange personnage. Il se
disait que Juana s’était donnée à Pardaillan, il n’avait plus le
droit lui, le Chico, de la traiter comme il faisait autrefois.
Il pouvait la considérer toujours comme une amie, mais il devait
renoncer à la conquérir. S’il se fût agi d’une liaison matérielle,
peut-être la jalousie l’eût-elle poussé à lutter. Mais il ne
doutait pas un instant qu’il ne fût question que d’une liaison
chastement platonique.
Jamais Juana n’appartiendrait physiquement à Pardaillan,
puisqu’il n’en voulait pas. Elle devait bien le savoir puisqu’elle
préférait la mort. Alors, lui, il eût considéré comme une bassesse
de chercher à l’attendrir.
Ces réflexions firent que, de réservé qu’il avait été jusque-là,
il se fit glacial, mettant tout son orgueil à paraître impassible
et y réussissant assez bien pour la déconcerter tout à fait.
Peut-être, si elle avait été plus lucide, eût-elle pu remarquer
l’étrange pâleur du nain et l’éclat fiévreux de son regard. Mais
elle était trop troublée elle-même pour s’arrêter à autre chose
qu’aux apparences frappantes.
Et le malentendu qui s’était élevé entre eux acheva de les
séparer.
Le Chico se contenta d’acquiescer d’un signe de tête à ce
qu’elle venait de dire et, tirant de son sein le blanc-seing
trouvé, il dit avec une froideur sous laquelle il s’efforçait de
cacher ses véritables sentiments :
– Toi qui es savante, regarde ce parchemin, dis-moi ce que
c’est et ce qu’il vaut.
La petite Juana sentit une larme monter à ses yeux. Elle avait
espéré le faire parler et voici qu’il se montrait plus froid, plus
cassant qu’il n’avait été depuis le début de cet entretien.
Ah ! décidément, il ne l’aimait pas, elle s’était trompée.
Puisqu’il en était ainsi, elle ne lui donnerait pas cette joie de
la voir pleurer. Elle se raidit pour refouler la larme prête à
jaillir, elle prit tristement le parchemin qu’il lui tendait et
l’étudia en s’efforçant d’imiter son attitude glaciale.
– Mais, fit-elle, après un rapide examen, je ne vois rien
là que deux cachets et deux signatures, sous des formules
inachevées.
– Mais les signatures, les cachets, les connais-tu,
Juana ?
– Le cachet et la signature du roi, le cachet et la
signature de monseigneur le grand inquisiteur.
– En es-tu bien sûre ?
– Sans doute ! Je sais lire, je pense : Nous,
Philippe, par la grâce de Dieu, roi… mandons et ordonnons… à tous
représentants de l’autorité religieuse, civile, militaire… Et plus
bas : Inigo d’Espinosa, cardinal-archevêque, grand inquisiteur
d’État. N’as-tu pas vu ces cachets au bas de l’ordonnance ? Ce
sont bien les mêmes. Nul doute n’est possible.
– C’est bien ce que j’avais pensé. Ceci, c’est ce qu’on
appelle un blanc-seing. On remplit les blancs à sa guise et on se
trouve couvert par la signature du roi… et tout le monde doit obéir
aux
Weitere Kostenlose Bücher