Les amours du Chico
qu’elle
connaissait depuis quelques jours était bien fait pour donner à
réfléchir.
Mais tout se tient et s’enchaîne et tout n’est qu’entraînement.
Peut-être, sans le savoir, avait-elle, comme le Chico, une âme
vaillante ? Peut-être le romanesque relevé par un danger
mortel avait-il un attrait particulier pour elle ?
Peut-être aussi l’aventure périlleuse à tenter se
présentait-elle à une heure où elle était dans l’état d’esprit
qu’il fallait pour la lui faire accepter ? Nous pencherions
plutôt pour cette raison.
En réalité l’amour était apparu à son cœur vierge sous les
apparences de deux hommes qui étaient deux antithèses
vivantes : Pardaillan qui, au moral sinon au physique, lui
apparaissait comme un géant, et le Chico qui, au physique comme au
moral, était une réduction d’homme infiniment gracieuse.
Longtemps elle avait hésité entre ces deux hommes, attirée par
la force de l’un presque autant que sollicitée par la faiblesse de
l’autre. Brusquement, raisonnée par l’un au profit de l’autre, elle
s’était décidée à choisir. Et voici que maintenant que son choix
était fait en faveur du plus faible, elle se trouvait menacée de
les perdre tous les deux à la fois.
Celui qui n’avait pas voulu d’elle, condamné par un pouvoir
redoutable entre tous : l’Inquisition. Celui qu’elle avait
accepté, ne pouvant avoir l’autre, se dévouant inutilement au salut
du premier. Tout l’univers pour elle se résumait en ces deux
hommes. Eux morts, que ferait-elle dans la vie ?
Ne valait-il pas mieux qu’elle partît avec eux ? N’ayant pu
être ni à l’un ni à l’autre, ils seraient unis tous trois dans la
mort. Voilà ce que se dit la petite Juana.
Si nous passons à la question d’entraînement dont nous parlons
plus haut, nous voyons qu’il se trouva que l’attitude du Chico pesa
fortement sur sa décision. Pour elle, comme pour tout le monde,
demeuré enfant par la taille, le nain devait être resté enfant par
la force physique et par le moral.
Et voici que tout à coup il se révélait à elle comme un vrai
homme, sinon par la taille et la force, du moins par le cœur, par
le courage et par le sang-froid.
Le Chico s’ignorait lui-même, comment aurait-elle pu le deviner.
Il avait fallu pour cela l’œil pénétrant de Pardaillan.
Le petit homme ne s’était pas rendu compte de la froide
intrépidité avec laquelle il avait envisagé le sort qui pouvait
être le sien s’il se lançait dans l’aventure qu’il méditait.
Comme il n’était pas sot, il raisonnait avec une logique serrée
que lui eussent enviée bien des hommes réputés habiles. D’ailleurs,
dans cette existence de solitaire qu’il menait depuis de longues
années, il avait contracté l’habitude de réfléchir longuement et de
ne parler et d’agir qu’à bon escient.
Pour lui, la question était très simple : il l’avait assez
méditée… Il allait se mettre en lutte contre le pouvoir le plus
formidable qui existât. Évidemment lui, pauvre, solitaire, faible,
d’intelligence médiocre – c’est lui qui parle – ne disposant
d’aucune aide, d’aucune ressource, il serait infailliblement battu.
Or, la partie perdue pour lui, c’était sa tête qui tombait.
Tiens ! ce n’était pas difficile à comprendre cela !
Tout se résumait donc à ceci : fallait-il risquer sa tête
pour une chance infime ? Oui ou non ? Il avait décidé que
ce serait oui. Partant, il avait fait le sacrifice de sa vie et se
jugeait condamné.
Il aurait été bien embarrassé de dire si c’était de la bravoure
ou non. Les choses étaient ainsi et non autrement, et puisqu’il
décidait de tenter l’aventure, il lui paraissait logique d’en
envisager les conséquences.
Ainsi avait-il fait, et c’est ce qui lui avait permis de parler
avec cette tranquillité qui avait si fort impressionné sa petite
amie.
Si le Chico n’avait pas conscience de son héroïsme, Juana, en
revanche, s’en rendait fort bien compte. Il se révélait à elle sous
un jour qui lui était complètement méconnu.
Le jouet que, tyran au petit pied, elle avait accoutumé de
tourner au gré de son humeur avait disparu. Disparu aussi l’enfant
qu’elle se plaisait à couvrir de sa protection.
Ce Chico, inconnu jusqu’à ce jour, par la force de son esprit,
lui paraissait de taille à se passer désormais de son faible appui
et, qui mieux est, à la protéger à son tour. C’était
Weitere Kostenlose Bücher