Les amours du Chico
tête
lourde et il fut pris d’une irrésistible envie de dormir.
Il se jeta tout habillé sur le lit en murmurant dans un
bâillement :
– C’est bizarre ! D’où me vient cet impérieux besoin
de sommeil ? Mordieu ! je n’ai pourtant pas bu outre
mesure ! La fatigue, sans doute…
Lorsqu’il se réveilla, le lendemain matin, la tête plus lourde
encore que lorsqu’il s’était couché, les membres brisés, il
constata avec stupeur qu’il était complètement déshabillé et couché
entre les draps.
– Oh ! fit-il, me serais-je grisé à ce point ! Je
suis sûr pourtant de ne pas m’être déshabillé !
Il sauta hors du lit et sentit ses jambes se dérober sous lui.
Il éprouvait une lassitude comme il n’en avait jamais éprouvé de
pareille, même après ses plus rudes journées.
Il se traîna, plutôt qu’il n’alla, vers le bassin de cuivre
destiné à sa toilette, vida l’aiguière dedans et plongea sa figure
dans l’eau fraîche. Après quoi il alla à la fenêtre qu’il ouvrit
toute grande. Il sentit un mieux sensible se manifester en lui. Ses
idées lui revinrent plus lucides et, tout en grommelant, il prit
ses vêtements pour s’habiller.
– Tiens ! tiens ! sourit-il, on a eu l’attention
de remplacer mon costume en loques par celui-ci, tout neuf, ma
foi !
Il examina et palpa les différentes pièces du costume en
connaisseur.
– Drap fin, beau velours nuance foncée, simple et solide.
On connaît mes goûts apparemment, murmurait-il en faisant cette
inspection.
Instinctivement, il chercha ses bottes et les aperçut à terre,
au pied du lit. Il s’en empara aussitôt et les examina comme il
avait fait du costume.
– Ah ! Ah ! voilà la clé du mystère ! fit-il
en éclatant de rire. C’est pour cela qu’on m’a fait prendre un
narcotique.
C’étaient bien ses bottes qu’on avait jugées en assez bon état
pour ne pas les remplacer, ses bottes qu’on avait
consciencieusement nettoyées. Seulement on avait enlevé les
éperons. Ces éperons consistaient en une tige d’acier longue et
acérée, maintenue sur le coup-de-pied par des courroies.
En un moment, effroyablement critique, de son existence
aventureuse, alors qu’il était enfermé avec son père dans une sorte
de pressoir de fer où ils devaient être broyés [8] , le
chevalier avait détaché des éperons semblables, en avait donné un à
son père, et tous deux, pour se soustraire à l’horrible supplice,
avaient froidement résolu de se poignarder avec cette arme
improvisée. Depuis lors, en souvenir de cette heure, de cauchemar,
il avait continué à dédaigner l’éperon à mollette. Or, c’étaient
ces éperons qui pouvaient constituer à la rigueur un poignard
passable qu’on avait eu la précaution de lui enlever pendant son
sommeil.
Tout en s’habillant, Pardaillan songeait :
– Diable ! il me paraît que j’ai affaire à des
adversaires qui ne livrent rien au hasard ! D’Espinosa ?
Fausta ? ou ces moines ?
Et avec un froncement de sourcils :
– Que veut-on de moi, enfin ? A-t-on craint que je me
servisse de ces éperons pour frapper mes geôliers enfroqués ?
N’a-t-on voulu plutôt me mettre dans l’impossibilité de me
soustraire par une mort volontaire au supplice qui m’est
réservé ?… Quel supplice ?… De cette association de
l’ancienne papesse avec ce cardinal inquisiteur, quelle invention
infernale surgira, créée à mon intention ?
Et avec un sourire terrible :
– Ah ! Fausta ! Fausta ! quel compte
terrible nous aurons à régler… si je sors vivant d’ici !
Et tout à coup :
– Et ma bourse ?… Ils l’ont emportée avec mon costume
déchiré… Peste ? M. d’Espinosa me fait payer cher le
costume qu’il m’impose !
Au même instant, il aperçut sa bourse posée ostensiblement sur
la table. Il s’en empara et l’empocha avec une satisfaction non
dissimulée.
– Allons, murmura-t-il, je me suis trop hâté de mal juger…
Mais, mordiable ! je ne vais plus oser boire ni manger
maintenant, de crainte qu’on ne mélange encore quelque drogue
endormante à ma pitance.
Il réfléchit un instant, et :
– Non ! fit-il en souriant, ils ont obtenu ce qu’ils
voulaient. Il est à présumer qu’ils ne chercheront pas à m’endormir
de nouveau. Attendons. Nous verrons bien.
Comme il l’avait prévu, il put boire et manger sans éprouver
aucun malaise, sans qu’aucune drogue fût mêlée à ses
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