Les amours du Chico
en rougissant.
– C’est vrai, balbutia-t-elle.
Et passant de nouveau sa main sur son front de ce même geste
machinal, elle ajoute, en elle-même :
– Je deviens folle.
– Ne l’as-tu pas vue ? continua d’interroger le Chico.
Elle était à la corrida. Don César a été enlevé au moment où il se
dirigeait vers elle pour lui faire hommage du flot de rubans
conquis sur le taureau. Elle a dû se trouver prise dans la mêlée.
Pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé malheur !
– Peut-être a-t-elle pu se sauver à temps. Je la verrai
sans doute avant la nuit. C’est ici qu’elle viendra sûrement
s’enquérir de son fiancé.
Le nain hocha la tête d’un air pensif.
– Elle ne viendra pas, dit-il.
– Qu’en sais-tu ?
– Elle était entourée de cavaliers qui me paraissaient
suspects. J’ai cru reconnaître dans le tas la gueule de loup de ce
sacripant de don Gaspar Barrigon.
– Qu’est-ce que ce don Gaspar Barrigon ?
– Comme qui dirait le sergent de Centurion. La Giralda, je
le crains, a dû être victime de quelque tentative d’enlèvement
comme celle que j’avais déjà surprise. Centurion est tenace et,
pour moi, il y a du Barba-Roja là-dessous. Quel malheur que le
chevalier de Pardaillan se soit avisé de lui sauver la vie à
celui-là !
– Dans tous les cas, dit Juana, si elle revient, tu peux
être tranquille. Je la cacherai ici et je veillerai sur elle. Je
l’aime comme une sœur. Elle est si bonne, si tendre, si
jolie !
Dès l’instant où sa jalousie n’était pas en cause, elle savait
rendre à chacun la justice qui lui était due.
Le Chico approuva gravement de la tête et :
– Je sais où est enfermé M. de Pardaillan,
dit-il ; j’ai vu où l’on a conduit don César. Il faut que je
sache maintenant ce qu’est devenue la Giralda ; et si elle a
été enlevée, comme je le crois, il faut que je découvre où on l’a
enfermée. Demain peut-être don César quittera sa retraite, et je
veux être à même de le renseigner. Je n’ai donc pas un instant à
perdre. Est-ce tout ce que tu avais à me dire, Juana ?
Elle eut une seconde d’hésitation et murmura
faiblement :
– Oui !
– En ce cas, adieu, Juana !
– Pourquoi adieu ? s’écria-t-elle, emportée malgré
elle. C’est la deuxième fois que tu prononces ce mot qui me serre
le cœur. Pourquoi pas au revoir ? Ne te reverrai-je donc
plus ?
– Si fait bien.
Elle le regarda fixement. Il lui semblait qu’il lui cachait
quelque chose. Son sourire et ces paroles sonnaient faux.
– Quand ? insista-t-elle en le tenant sous son
regard.
Évasivement, il répondit :
– Je ne peux pas dire, tiens ! Peut-être demain,
peut-être dans quelques jours. Cela dépendra des événements.
Alors, comme il paraissait uniquement préoccupé des autres et
non d’elle, elle crut bien faire en disant :
– N’est-il pas entendu que je dois t’aider dans la
délivrance du chevalier de Pardaillan… Il faut bien que tu me
dises, quand le moment sera venu, en quoi je pourrai t’être
utile.
Et lui, il comprit que c’était surtout cela : la délivrance
de Pardaillan, qui lui tenait à cœur. Mais il était bien résolu à
se passer d’elle. Pour rien au monde il n’eût voulu la mêler à une
aventure qu’il devinait devoir lui être fatale. Il se fût plutôt
poignardé sur l’heure.
Néanmoins, comme il ne fallait pas lui laisser soupçonner ses
intentions, il répondit avec une assurance qui la tranquillisa un
peu :
– C’est convenu, tiens ! Mais pour que je te dise en
quoi tu pourras m’aider, encore faut-il que je sache exactement ce
que je veux faire. Je te jure qu’en ce moment je n’en sais rien. Je
cherche. Puis il y a la Giralda à retrouver. Tout cela sera
peut-être long. Dès que mon plan sera établi, je te le ferai
connaître. C’est promis.
Comme il parlait avec assurance ! Qui lui eût dit que ce
petit être si faible avait une tête si bien organisée et savait
agir avec tant de décision ! Aveugle, trois fois aveugle
qu’elle avait été de l’avoir si longtemps méconnu !
Cependant, il avait promis de revenir. Tout n’était pas encore
dit. Il reviendrait certainement, il tenait toujours ce qu’il lui
promettait. Elle pouvait encore espérer. Très doucement, avec un
regard chargé de tendresse, elle dit :
– Va donc, Luis, et que Dieu te garde !
Il se sentit doucement ému. Luis, c’était son prénom. Très
rarement –
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