Les amours du Chico
ne ferait pas surgir un de ces incidents dont il saurait
profiter ?
En attendant, la plus élémentaire prudence conseillait de tenir
compte de l’avis reçu en ne s’exposant pas de propos délibéré à la
mort qu’on lui destinait.
À vrai dire, il s’étonnait un peu que Fausta et d’Espinosa
n’eussent pas trouvé quelque supplice plus long, plus raffiné.
Mais, somme toute, savait-il quel genre de poison lui serait
administré ? Savait-il si ce poison foudroyant ne le ferait
pas souffrir, durant quelques minutes, plus que la plus cruelle des
tortures ? Puis, quoi ? Il n’y avait pas à douter, il
avait vu de ses propres yeux le Chico traverser furtivement le
jardin et lui faire un geste amical. Donc le billet était bien du
nain, donc son avis devait être exact, donc il avait bien fait de
le suivre.
Il fut interrompu dans ses réflexions par l’arrivée soudaine du
grand inquisiteur.
« Enfin ! songea Pardaillan, je vais savoir quelque
chose. »
Et il se hérissa, prêt à lutter, car il devinait que l’entrevue
avec un tel adversaire ne pouvait être qu’une sorte de duel.
D’Espinosa avait son immuable visage calme, indifférent,
pourrait-on dire. Dans son attitude aisée, correcte, pas l’ombre de
défi, pas la moindre manifestation de satisfaction de son succès.
On eût dit d’un gentilhomme venant faire une visite courtoise à un
autre gentilhomme.
Dès que Pardaillan avait été emmené par ses hommes, d’Espinosa
s’était rendu, directement à la Tour de l’Or. C’est là, si on ne
l’a pas oublié, que le cardinal Montalte et le duc de
Ponte-Maggiore, réconciliés dans leur haine commune de Pardaillan,
étaient soignés, sur l’ordre de d’Espinosa, par un moine
médecin.
D’Espinosa avait décidé de le faire partir pour Rome et de se
servir de leur influence réelle pour peser sur les décisions du
conclave, à l’effet de faire élire un pape de son choix. Sans doute
avait-il des moyens à lui d’imposer ses volontés, car, après une
résistance sérieuse, le cardinal et le duc, vaincus, durent se
résigner à obéir. Cependant Ponte-Maggiore qui, n’étant pas prêtre,
n’avait rien à espérer personnellement dans cette élection, s’était
montré plus rebelle que Montalte qui, lui, prince de l’Église,
était éligible et pouvait espérer succéder à son oncle Sixte
Quint.
D’Espinosa sentit que, pour vaincre définitivement la résistance
de ces deux hommes que la jalousie torturait, il lui fallait leur
prouver qu’ils pouvaient quitter Fausta sans avoir rien à redouter
de Pardaillan. Il n’avait pas hésité un seul instant.
Très faibles encore, leurs blessures à peiné cicatrisées, il les
avait conduits au couvent San Pablo, les avait fait pénétrer dans
la chambre de Pardaillan et le leur avait montré, profondément
endormi, sous l’influence du narcotique puissant qui avait été
versé dans son vin. Et il leur avait dit ce qu’il comptait en
faire. Et sans doute, ce qu’il leur révélait était au-dessus de
tout ce que leur haine eût pu concevoir, car ils se regardaient,
très pâles, les dents serrées, la respiration rauque.
Et ils étaient partis, sûrs que, désormais, Pardaillan
n’existait plus. Quant à Fausta, leur mission remplie, ils
sauraient bien la retrouver et, en attendant, délivrés du cauchemar
de Pardaillan, ils se surveillaient mutuellement, très étroitement,
repris par leur haine jalouse, l’un contre l’autre.
– Monsieur le chevalier, dit doucement d’Espinosa, comme
s’il se fût excusé, vous me voyez désespéré de la violence que j’ai
été contraint de vous faire.
– Monsieur le cardinal, répondit poliment Pardaillan, votre
désespoir me touche à un point que je ne saurais dire.
– Convenez du moins, monsieur, que j’ai tout fait pour vous
éviter cette fâcheuse extrémité. Je vous ai loyalement prévenu que
le mieux que vous aviez à faire était de retourner chez vous, en
France.
– Je confesse volontiers qu’en effet vous m’avez averti
loyalement. Quoique, à vrai dire, je cherche vainement cette même
loyauté dans la manière spéciale dont vous vous êtes emparé de ma
personne. Peste ! monsieur, un régiment entier mis sur pied
pour s’assurer de ma modeste personnalité ! Convenez à votre
tour que c’est un peu excessif.
– Ceci doit vous prouver, dit gravement d’Espinosa, et
l’importance que j’attachais à m’assurer de votre personne et
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