Les amours du Chico
se
risquait à ouvrir les paupières.
Pardaillan, asphyxié, à demi terrassé peut-être par la
congestion, avait roulé sur le sol. Le délire s’était emparé de
lui, un râle étouffé coulait sans interruption de ses lèvres
glacées, et parfois un gémissement plaintif alternait avec le râle.
Et les heures s’écoulèrent douloureusement, mortelles, sans qu’il
en eut conscience.
Brusquement, l’éclat du soleil s’atténua. Le cachot fut encore
vivement éclairé, mais cette lumière, du moins, était très
supportable. En même temps, un déplacement d’air violent, tel que
le produit un puissant ventilateur, balaya les mauvaises odeurs qui
infectaient le cachot, et l’air redevint respirable. Puis aussitôt
des bouffées de chaleur attiédirent l’atmosphère, pendant que des
bouffées de parfums très doux achevaient de chasser ce qui pouvait
rester de miasmes épars dans l’air.
Rapidement ce cachot, où il avait failli être terrassé tour à
tour par la chaleur et le froid, par l’asphyxie et la congestion,
ce cachot, où il avait failli être aveuglé par les éclats puissants
d’un soleil factice, redevint habitable. Il éprouva aussitôt les
bienfaisants effets de cet heureux changement. Le délire fit place
à une sorte d’engourdissement qui n’avait rien de douloureux, les
râles cessèrent, la respiration redevint normale. Il ressentit un
bien-être relatif, qui, après les prodigieuses secousses qu’il
venait d’endurer, dut lui paraître délicieux. Peu à peu cette sorte
d’engourdissement disparut. Il retrouva non pas cette admirable
intelligence qui le faisait supérieur à ceux qui l’entouraient,
mais un vague embryon de conscience.
C’était peu. C’était cependant une amélioration notable,
comparée à l’état où il se trouvait avant.
Nous avons dit qu’il avait roulé par terre. C’est sur son
manteau que nous aurions dû dire.
En effet, malgré la chaleur – on était au gros de l’été – par
suite d’on ne sait quelle inexplicable fantaisie, tout à coup, il
s’était enveloppé dans son manteau et n’avait plus voulu s’en
séparer. Cette fantaisie remontait au jour de ce fameux et unique
repas qu’il avait fait dans cette merveilleuse salle à manger,
aménagée à son intention.
Pendant ce repas, il avait gardé son manteau, et depuis, il ne
l’avait plus quitté, ni jour ni nuit.
Les dignes frères Bautista et Zacarias avaient fort bien
remarqué cette bizarrerie, sans y attacher d’importance d’ailleurs.
Comme on a pu s’en rendre compte par le rapport de Bautista à son
supérieur, pour eux, leur prisonnier n’avait plus bien sa tête à
lui. Cette obstination à s’envelopper ainsi, ils l’avaient mise sur
le compte d’une lubie de dément. C’est ce qui explique que
lorsqu’ils vinrent chercher Pardaillan pour le conduire à son
actuel cachot, celui-ci était parti avec son manteau, et comme ils
étaient habitués à le voir constamment avec, ils n’y avaient prêté
aucune attention.
D’ailleurs, on ne leur avait donné aucune instruction au sujet
de ce vêtement. Il est vrai qu’ils avaient négligé de signaler ce
détail sans importance à leurs supérieurs.
Donc, Pardaillan avait roulé à terre dans son manteau. Il se
redressa lentement. Sa manie étant passée, sans doute, il enleva ce
manteau, le plia proprement, et comme il n’y avait pas de sièges,
il s’assit dessus et s’appuya au mur. Il jeta autour de lui un
regard qui n’était plus ce regard si vif d’autrefois, mais où ne
luisait plus cette lueur de folie qu’on y voyait l’instant d’avant.
Il vit près de lui un pain entier et une cruche pleine d’eau.
Ceci fait supposer que son supplice avait duré un jour, deux
jours peut-être, puisqu’on avait renouvelé ses provisions sans
qu’il s’en fût aperçu. Il prit le pain sec et dur et le dévora
presque en entier. De même, il vida aux trois quarts la cruche.
Ce maigre repas lui rendit un peu de forces. Les forces
amenèrent une nouvelle amélioration dans son état mental. Il eut
plus nettement conscience de sa situation. Il s’accota au mur le
plus commodément qu’il put et se remit à regarder attentivement
autour de lui, avec ce regard étonné d’un homme qui ne reconnaît
pas les lieux où il se trouve.
À ce moment, à son côté gauche, il perçut un bruit sec,
semblable à un ressort qui se détend. Il y regarda. Une lame large
comme une main, longue de près de deux
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