Les amours du Chico
rapidité acquise, ces bruits, d’abord espacés, se
changèrent en un roulement continu qui remplit le cachot d’un
bourdonnement sonore.
Lorsque le mouvement de ces trois faux fut régulièrement établi,
à côté, une deuxième série de trois faux fit son apparition, et,
comme la première, elle se mit en mouvement automatiquement. Et le
roulement devint plus fort. Enfin une troisième, une quatrième et
une cinquième série apparurent et se mirent en branle.
Alors, d’une extrémité à l’autre de la cloison diabolique,
Pardaillan ne vit plus que l’éclat fulgurant de l’acier tombant et
se relevant avec une rapidité prodigieuse. Il était interdit de
s’approcher de cette cloison, sous peine d’être happé par les faux
et haché menu comme chair à pâté. Et le roulement devint
assourdissant.
Pardaillan, hors de l’atteinte des faux, ne pouvait détacher ses
yeux exorbités de ce spectacle fantastique. Et la même plainte
lugubre fusait de ses lèvres, sans répit.
Tout à coup, il tressaillit. Il venait de sentir le plancher
s’écrouler sous lui. Tout d’abord il crut s’être trompé. Il pensa
que ce qu’il venait de percevoir n’était que l’effet d’une
trépidation produite par cet insupportable roulement qui devait
ébranler toute la pièce.
La peur – car il avait une peur affreuse, peur de mourir haché
par ces horrifiantes lames, il avait peur, lui !
Pardaillan ! – la peur, donc, lui donnait une lueur de
lucidité qui lui permettait d’observer et de raisonner.
Mais comme il contemplait toujours les faux en mouvement, il vit
bientôt qu’il ne s’était pas, malheureusement, trompé. En effet, il
n’y avait pas à en douter, le plancher s’inclinait dans la
direction de la machine à hacher.
C’était le nom que, d’instinct, il avait spontanément donné,
dans son esprit, à cette effroyable invention. Il s’inclinait si
bien, même, que sous chacun de ces groupes, qui était comme une
pièce dont le tout constituait la machine, une quatrième faux
venait d’apparaître.
La disposition de ces quatre faux formait un losange parfait.
Ainsi, le long de la cloison, il y avait maintenant cinq losanges.
Seulement, tandis que les trois faux primitives continuaient leur
perpétuel mouvement de hachoir, la quatrième restait immobile,
paraissant attendre et guetter, sournoise et menaçante. Et le
mouvement d’inclinaison du plancher se poursuivait lentement, avec
une régularité terrifiante.
Alors, Pardaillan remarqua ce qu’il n’avait pas encore remarqué
jusque-là : que le plancher de son cachot paraissait être une
énorme plaque d’acier, lisse, glissante sans une rainure, sans une
soudure visibles, sans la moindre protubérance à quoi il eût pu
s’accrocher. Il se sentit doucement, mais irrésistiblement, glisser
sur ce plancher, et il comprit qu’il allait rouler infailliblement
jusqu’à l’un de ces cinq hachoirs qui le mettrait en pièces.
Alors aussi, la peur de mourir qui le talonnait, la terreur sans
nom qui lui rongeait le cerveau achevèrent l’œuvre dissolvante,
poursuivie avec une ténacité féroce durant quinze jours de tortures
variées, longuement et froidement préméditées, accumulées avec un
art diabolique et destinées à faire sombrer cette raison si solide,
si lumineuse.
Le but visé par Fausta et d’Espinosa était atteint. Pardaillan
n’était plus.
C’était un pauvre fou qui, maintenant, hagard, échevelé,
écumant, hurlait son désespoir et sa terreur. Et ce fou, d’une voix
qui s’efforçait de couvrir le tonitruant roulement de la machine à
hacher, criait de toutes ses forces, déjà épuisées :
– Arrêtez !… Arrêtez !… Je ne veux pas
mourir !… je ne veux pas !…
Mais on ne l’entendait pas sans doute. Ou peut-être l’implacable
volonté de l’inquisiteur avait-elle décidé de pousser l’expérience
jusqu’au bout.
Car le plancher continuait de s’abaisser avec une régularité
désespérante. Maintenant, ce n’étaient plus cinq losanges, mais dix
qui fonctionnaient simultanément, avec la même rapidité, avec le
même roulement formidable qui remplissait le cachot de son bruit de
tonnerre.
L’instinct de la conservation, si puissant, à défaut du
raisonnement, à jamais aboli, peut-être, fit que Pardaillan
découvrit l’unique chance qui lui restait de sauver cette vie à
laquelle il tenait tant maintenant. Voici quelle était cette
chance :
Ce plancher mobile
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