Les amours du Chico
pieds, tranchante comme un
rasoir, pointue comme une aiguille, ressemblant assez exactement à
une faux, venait de surgir de la muraille, là, à son côté, à la
hauteur du sein. Le tranchant, placé horizontalement et tourné de
son côté, l’avait frôlé en passant ; quelques lignes de plus à
droite, et c’en était fait de lui : la lame le perçait de part
en part.
Le Pardaillan au cœur de diamant qu’il était, il y avait
quelques jours à peine, eût considéré cette dangereuse apparition
avec étonnement, peut-être – et encore n’est-ce pas bien sûr – en
tout cas sans manifester le moindre émoi. Hélas ! ce
Pardaillan n’était plus. Les intolérables tortures qu’il endurait
depuis bientôt deux semaines, quelque drogue infernale qu’on avait
réussi à lui faire absorber, avaient fait de lui une loque humaine.
Il n’était peut-être pas tout à fait fou, il était bien près de le
devenir.
De l’homme fort, sain, vigoureux qu’il était, la faim, la soif,
les abominables supplices qu’on lui infligeait avaient fait de lui
un être faible, sans énergie, sans volonté. Et ceci n’était rien.
Ce qui était le plus affreux, c’est que la drogue, l’horrible
drogue, non contente de dévorer cette intelligence si lumineuse qui
était la sienne, de l’aventurier hardi, entreprenant, intrépide et
vaillant, avait fait un être pusillanime qu’un rien effarouchait et
qui ressemblait à un poltron. Pardaillan le brave, finissant dans
la peau d’un lâche !… Quel triomphe pour Fausta !
En voyant cette faux qui l’avait frôlé de si près que c’était
miracle qu’elle ne l’eût pas transpercé, le nouveau Pardaillan fut
secoué d’un tremblement nerveux, et hagard, sans songer à
s’écarter, il cria : Ho ! en regardant la faux d’un air
hébété. Au même instant, du côté opposé, il perçut le même bruit
précurseur d’une apparition nouvelle et il se replia, se tassa,
avec une expression de terreur indicible, et un hurlement long,
lugubre, pareil à celui d’un chien hurlant à la mort, jaillit de
ses lèvres crispées. Une nouvelle lame venait de jaillir de son
côté droit ; et, comme la première, il s’en fallait d’un fil
qu’elle ne l’eût atteint.
Un inappréciable instant, il resta ainsi entre ces deux
tranchants qui débordaient des deux côtés de sa poitrine, pareils
aux deux branches énormes de quelque fantastique et menaçante
cisaille prête à se refermer et à le broyer. Et aussitôt, juste
au-dessus de sa tête, une troisième faux parut, dont le tranchant
placé dans le sens vertical paraissait vouloir le couper en deux,
de haut en bas.
Par quel miracle cette troisième faux l’avait-elle manqué de
quelques lignes ? L’ancien Pardaillan n’eût pas manqué de se
poser cette question dès la première apparition.
Le nouveau Pardaillan se contenta de hurler plus fort, et en
même temps plus plaintivement. Seulement, cette fois, guidé sans
doute par l’instinct de la conservation, il s’écarta précipitamment
de l’infernale muraille. Et les deux faux horizontales
l’enserraient si étroitement que, dans le mouvement qu’il fit, il
taillada son pourpoint. Il eût pourtant cette suprême chance de ne
pas déchirer ses chairs en même temps.
Sorti de la dangereuse position où il se trouvait, il se hâta de
se mettre hors d’atteinte et, accroupi au milieu du cachot, en
continuant d’émettre des gémissements, comme fasciné, il regardait
les trois faux d’un air stupide.
Alors, les deux faux horizontales, placées exactement sur la
même ligne, se mirent automatiquement en branle, se refermant à
fond l’une sur l’autre, comme les deux branches d’une paire de
ciseaux. Puis elles s’ouvrirent, et ce fut alors la faux verticale
qui s’abaissa pour se relever dès que les autres se rapprochaient
pour se croiser.
Ce mouvement, commencé avec lenteur, s’accéléra insensiblement,
acquit bien vite une certaine rapidité et la conserva sans
défaillir, comme si les faux étaient actionnées par quelque
machine.
Ce mouvement rapide des trois faux ressemblait au jeu régulier
de trois monstrueux hachoirs, alternant, avec une précision
mécanique, à coups carrément rythmés, malgré leur rapidité. Et
chaque fois qu’une des faux se fermait à fond où s’ouvrait toute
grande, cela produisait, sur la cloison, un bruit sec qui éclatait
comme le bruit d’une baguette frappant un tambour. En sorte que,
avec la
Weitere Kostenlose Bücher