Les amours du Chico
accompli la tâche qu’il a entreprise pour
le plus grand bien de notre sainte mère l’Église.
– Rassurez-vous, monseigneur, fit respectueusement le
moine, le prisonnier retrouvera, pour quelques jours, sa vigueur
primitive. Mais son intelligence sera à peine galvanisée. Il ne
comprendra que vaguement ce que vous avez à lui dire, et cette
lueur d’intelligence ne durera, je vous l’ai dit, guère plus d’une
demi-heure. L’idée ne lui viendra pas de faire usage de sa force
redoutable. Il restera, malgré cette force retrouvée, ce qu’il est
maintenant : un enfant craintif. J’en réponds.
Et sur un geste d’autorisation, il vida le contenu d’un
minuscule flacon entre les lèvres du prisonnier, qui d’ailleurs
n’opposa aucune résistance, et se redressant :
– Avant cinq minutes, monseigneur, le prisonnier sera en
état de vous comprendre… à peu près, dit-il.
– C’est bien, dit le grand inquisiteur. Allez, fermez la
porte à l’extérieur et remontez sans m’attendre.
Le moine eut un mouvement d’hésitation.
– Et monseigneur ? dit-il respectueusement.
– Ne vous inquiétez pas de moi, sourit d’Espinosa, je sais
le moyen de sortir de ce cachot sans passer par cette porte.
Sans plus insister, le moine s’inclina devant son chef suprême
et obéit passivement à l’ordre reçu. D’Espinosa, sans manifester ni
inquiétude ni émotion, entendit les verrous grincer à l’extérieur,
avec ce calme qui ne l’abandonnait jamais. Il se tourna vers
Pardaillan et, à la lueur blafarde d’une lampe que le moine avait
posée à terre, il se mit à étudier curieusement l’effet produit par
la liqueur qu’on lui avait fait absorber, et qui devait être à la
fois un stimulant énergique et un reconstituant puissant. Galvanisé
par le remède violent, le prisonnier parût retrouver une vie
nouvelle.
Tout d’abord, il fut secoué d’un long frisson, puis son torse
affaissé se redressa lentement. Comme s’il avait été, jusque-là,
oppressé jusqu’à la suffocation, il respira longuement, bruyamment,
le sang afflua à ses pommettes livides, l’œil morne, éteint,
retrouva une partie de son éclat, laissa percevoir une vague lueur
d’intelligence. Et il se redressa, se mit sur ses pieds, s’étira
longuement, avec un sourire de satisfaction.
Il regarda autour de lui avec un étonnement visible et aperçut
d’Espinosa. Alors, comme un effrayé, il se recula vivement jusqu’au
mur, qui l’arrêta. Mais il ne se cacha pas le visage, il ne cria
pas, il ne gémit pas. Évidemment, il y avait une amélioration
sensible dans son état.
Cependant, il considérait d’Espinosa avec une inquiétude
manifeste. Le grand inquisiteur, qui le tenait sous le poids de son
regard froid et volontaire, fit deux pas vers lui. Pardaillan jeta
autour de lui ce regard de la bête menacée qui cherche le trou où
elle pourra se terrer. Et ne trouvant rien, ne pouvant plus
reculer, il effectua le seul mouvement possible : il s’écarta.
Et en exécutant ce mouvement, il surveillait attentivement le grand
inquisiteur, qu’il ne paraissait pas reconnaître.
Visiblement, il paraissait redouter une attaque soudaine de la
part de cet inconnu qui venait le troubler dans sa retraite. Son
attitude trahissait la crainte et l’inquiétude, tandis que, avant
l’absorption du remède, elle eût dénoté une frayeur intense.
D’Espinosa sourit. Il se sentit pleinement rassuré. Non qu’il
eut peur : il était brave, la mort ne l’effrayait pas. Mais il
l’avait dit, il avait une tâche à accomplir et il ne voulait pas
partir en laissant son œuvre inachevée.
C’était là l’unique raison pour laquelle il évitait de
s’exposer, pour laquelle il redoutait la force peu commune de son
prisonnier, ou pour mieux dire : du prisonnier de
l’Inquisition.
Sous l’action énergique du remède, ce prisonnier retrouvait peu
à peu ses forces et il devait les garder, avait dit le moine
savant, quelques minutes. Or, pendant l’instant très court qu’il
allait passer en tête à tête avec lui, il suffirait d’un éclair de
lucidité, d’un retour fugitif d’énergie, pour que le prisonnier se
ruât sur lui et l’étranglât tout net.
Si vigoureux qu’il fût, l’inquisiteur savait qu’il ne pourrait
tenir tête victorieusement à un adversaire de cette force. C’est
pourquoi la pusillanimité que montrait Pardaillan était faite pour
le rassurer. Il s’approcha donc de lui
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