Les amours du Chico
de son mieux dans l’herbe
qui poussait, haute et drue, sur les côtés, bordant les fossés de
la petite esplanade qui s’étendait devant l’entrée du château fort.
Et il attendit.
Il commençait à se demander si quelque malencontreux
contre-temps, en empêchant Barba-Roja de sortir, n’allait pas
l’obliger à pénétrer dans la place, lorsqu’il entendit le bruit des
chaînes qui se déroulaient et il vit le pont-levis s’abaisser
lentement.
Il eut un sourire de satisfaction et, sans se redresser, il mit
l’épée à la main.
Il n’y avait cependant pas de quoi se montrer si satisfait. Il
est même à présumer que tout autre que lui se fût, au contraire,
montré plutôt inquiet et se fût prudemment tenu caché dans les
hautes herbes.
En effet, c’était bien Barba-Roja tenant dans ses bras la
Giralda endormie ou évanouie.
Mais le colosse était entouré d’une troupe d’hommes d’armes dont
les sinistres physionomies étaient, à elles seules, un épouvantail
capable de mettre en fuite le plus résolu des chercheurs
d’aventures. Et en tête de la troupe, qui pouvait bien se composer
d’une quinzaine de sacripants, tous gens de sac et de corde,
soigneusement triés sur le volet, immédiatement derrière Barba-Roja
venaient l’ex-bachelier Centurion et son sergent Barrigon.
Pardaillan ne prêta qu’une médiocre attention à cette bande de
malandrins armés de formidables rapières, sans compter la dague
qu’ils avaient tous, pendue au côté droit.
Il ne vit et ne voulut voir que Barba-Roja et celle qu’il tenait
dans ses bras. Il laissa la troupe tout entière sortir de la voûte
et s’engager sur la petite esplanade.
Lorsque le pont-levis, en se relevant, lui fit comprendre que
toute la bande était sortie, il se redressa doucement et, sans
hâte, il alla se camper au milieu du chemin. Et d’une voix terrible
à force de calme et de froide résolution, il cria, comme un
officier commandant une manœuvre :
– Halte !… On ne passe pas !
Et c’était si imprévu, si extraordinaire, si inimaginable, cet
ordre froid lancé par un seul homme à toute une troupe de
spadassins redoutables, qu’effectivement Barba-Roja crut que,
derrière cet extravagant audacieux, devait se trouver une troupe au
moins égale à la sienne et qu’il s’arrêta net, immobilisant ses
hommes derrière lui.
Alors seulement, il reconnut Pardaillan et vit qu’il était seul,
parfaitement seul, au milieu du chemin.
Il eut un sourire terrible.
Par Dieu ! la partie était belle. Ce jour-là était un jour
heureux pour lui. Grâce à l’incroyable fanfaronnade de son ennemi,
qui venait stupidement se jeter dans ses bras, sa vengeance serait
plus complète qu’il n’eût jamais osé l’espérer.
Par le Christ ! c’était très simple. Il allait s’emparer de
lui, l’emmener proprement ficelé, l’obliger à assister au
déshonneur de la donzelle qu’il aimait, après quoi un coup de
poignard bien appliqué le débarrasserait à tout jamais du Français
maudit.
Tel fut le plan qui germa instantanément dans la cervelle du
colosse, et de la réussite duquel il ne douta pas un instant,
attendu qu’il n’était pas possible de penser – en admettant qu’il
osât attaquer – qu’un homme seul viendrait à bout des quinze
diables à quatre qu’il sentait derrière lui.
Peut-être eût-il montré moins d’assurance s’il avait pu lire ce
qui se passait dans l’esprit de ses diables à quatre. En effet, en
exceptant Centurion et Barrigon, qui avaient mille et une bonnes
raisons de lui rester fidèles, les treize autres ne paraissaient
pas montrer cet entrain qui décide de la victoire… surtout quand on
a pour soi le nombre.
C’est que ces treize-là avaient déjà eu affaire à
Pardaillan ; ces treize-là étaient ceux qui avaient été si
fort malmenés dans la fameuse grotte de la maison des Cyprès.
Depuis cette lutte homérique où ils avaient été si complètement
mis en déroute, ceux-là avaient pour leur vainqueur un respect qui
frisait la terreur. Joignez à cela que, comme tout le monde, ils
avaient entendu conter les exploits extraordinaires de cet homme
qui osait leur barrer la route, et on comprendra que leur ardeur
s’était singulièrement refroidie dès l’instant où ils avaient
reconnu, eux aussi, à qui ils avaient affaire.
Malheureusement pour lui, Barba-Roja ne se rendit pas compte de
cet état d’esprit qui pouvait faire avorter son dessein
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