Les amours du Chico
rapière, plus longue que lui de près d’un pied.
La leçon se poursuivit jusqu’à ce que la nuit fût tombée tout à
fait, avec une patience inaltérable de la part du maître, une bonne
volonté que rien ne rebutait de la part de l’élève.
Lorsque Pardaillan jugea que la soirée était assez avancée et
que l’heure était venue, il arrêta la leçon et déclara gravement
qu’il était content ; le Chico avait des dispositions et il en
ferait un escrimeur passable, ce qui transporta d’aise le petit
homme et fit plaisir à Juana, qui avait assisté à la leçon.
Le moment étant venu, Pardaillan ceignit son épée, choisit dans
sa collection une dague assez longue, légère et résistante, quoique
flexible, et la ceignit lui-même à la taille du nain, très fier de
voir cette épée – car pour sa taille c’était une longue épée – qui
lui battait les mollets. Juana, que Pardaillan guignait du coin de
l’œil, assistait à ces préparatifs inquiétants pour son cœur
d’amoureuse.
Quand elle vit qu’ils se disposaient à sortir, elle fit une
tentative désespérée et demanda timidement :
– Je croyais, seigneur de Pardaillan, que vous vouliez vous
reposer ?…
Et la rusée mâtine ajouta aussitôt :
– Je vous ai fait préparer un lit douillet à faire envie à
un moine.
– Misère de moi ! gémit Pardaillan, voilà bien ma
malchance… Mais, ma mignonne, j’utiliserai ce lit douillet à mon
retour et ferai de mon mieux pour rattraper le temps perdu.
– Et si vous… ne revenez pas ? dit faiblement
Juana.
– Pourquoi ne reviendrai-je pas ? s’étonna
Pardaillan.
– Puisque vous dites que… l’expédition est… dangereuse…
vous pourriez… être… blessé… (et elle couvait le Chico de ce regard
inquiet d’une mère qui appréhende les pires catastrophes pour son
enfant).
– Impossible ! assura Pardaillan.
– Pourquoi ? demanda Juana, qui sentit l’espoir
renaître en elle.
– Parce qu’une expédition – autrement dangereuse, celle-là
– m’attend demain matin. Et comme il n’y a que moi qui puisse la
mener à bien, il est clair que je reviendrai pour l’accomplir. Vous
voyez donc bien, petite Juana, que vous pouvez quitter toute
inquiétude à mon sujet… Je suis d’ailleurs, croyez-le bien, on ne
peut plus touché de la fraternelle sollicitude que vous me
témoignez.
Et riant sous cape, il sortit avec le Chico, laissant Juana
écrasée par cette bizarre logique et plus inquiète qu’avant. Car
enfin, au bout du compte, le seigneur de Pardaillan avait parlé
pour lui et de lui, mais n’avait soufflé mot de celui qui était,
par-dessous tout, l’objet de son inquiète sollicitude.
Pardaillan, guidé par le Chico, pénétra dans les sous-sols de la
mystérieuse maison des Cyprès. Était-il venu là pour tenter
d’enlever don César ? Était-il venu faire une simple
reconnaissance et préparer une action ultérieure ? C’est ce
que nous ne saurions dire.
Toujours est-il qu’au bout de deux heures environ, Pardaillan et
le nain sortirent, comme ils étaient entrés, sans avoir été
découverts, sans qu’il leur fût arrivé la moindre mésaventure. Mais
ils sortaient à deux comme ils étaient entrés.
Pardaillan avait-il réussi ou échoué dans ce qu’il était venu
tenter ? C’est ce que nous ne saurions dire non plus.
Tout ce que nous pouvons dire pour le moment, c’est qu’il
montrait un visage impénétrable et marchait d’un pas assuré, un peu
trop allongé peut-être pour le Chico, qui trottinait à son côté et,
en marchant, sifflait un air de chasse du temps de Charles IX.
Il était un peu plus de onze heures lorsqu’ils rentrèrent à
l’hôtellerie. Ils n’eurent pas la peine de frapper ; la petite
Juana les attendait sur le seuil de la porte.
La jeune fille avait passé tout le temps qu’avait duré leur
absence à guetter leur retour, dans des transes mortelles. Elle
avait perçu le bruit de leurs pas et avait couru ouvrir. Du premier
coup d’œil, elle avait constaté qu’ils étaient, tous les deux, en
parfait état. Un long soupir de soulagement avait gonflé son sein
et ses beaux yeux noirs avaient aussitôt retrouvé leur éclat
joyeux.
Elle avait voulu les faire souper, leur montrant la table toute
dressée et chargée de victuailles appétissantes. Mais Pardaillan
avait déclaré qu’il avait besoin de repos et il avait fait un signe
imperceptible au Chico, lequel, répondant par
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