Les amours du Chico
de
s’emparer de Pardaillan.
Il se crut sincèrement le plus fort, assuré de la victoire, et
résolût de s’amuser un peu, tel le chat qui joue avec la souris
avant de l’abattre d’un coup de griffe. Il mit tout ce qu’il put
mettre d’ironie et de mépris dans sa voix pour s’écrier :
– Ça, que veut ce truand ?… Si c’est une bourse qu’il
cherche, qu’il prenne garde de trouver les étrivières… en attendant
une bonne corde.
– Fi donc ! répliqua la voix très calme de Pardaillan.
Votre bourse, mon petit Barba-Roja, si je l’avais voulue, je
l’aurais prise ce jour où je dus, pour sauver votre carcasse,
mettre à mal une pauvre bête, assurément moins brute que vous.
Barba-Roja avait espéré s’amuser aux dépens de Pardaillan. Il
aurait dû cependant se souvenir de la scène de l’antichambre royale
et savoir qu’à ce jeu-là, comme aux autres, il n’était pas de force
à se mesurer avec lui.
Du premier coup, il perdit son sang-froid. En entendant
Pardaillan lui rappeler que, somme toute, il lui avait sauvé la
vie, il étrangla de honte et de fureur. Il ne chercha plus à
railler et à s’amuser, et il grinça :
– Misérable mécréant ! c’est bien pour cela que ma
haine pour toi s’est encore accrue… ce que je n’aurais pas cru
possible…
– Parbleu ! dit froidement Pardaillan, le contraire
m’aurait étonné !
Et de sa voix mordante, il continua :
– Quant aux étrivières, on les applique aux petits garçons
malappris tels que vous. Je ne sais ce qui me retient de vous les
appliquer séance tenante… ne fût-ce que pour voir si vous sautez
toujours aussi bien… Vous souvenez-vous, mon petit ?
Rien ne saurait traduire l’accent avec lequel Pardaillan
prononçait ces mots : mon petit et petit garçon. Barba-Roja
écumait. Il acheva de perdre la tête et, sans trop savoir ce qu’il
disait, cria :
– Ça, que veux-tu ?
– Moi ? fit Pardaillan de son air le plus naïf. Je
veux simplement te débarrasser du fardeau de cette jeune fille… Tu
vois bien qu’elle est trop lourde pour tes faibles bras… Tu vas la
laisser choir, mon petit.
– Place ! par le Christ ! hurla le colosse.
– On ne passe pas, répéta Pardaillan en lui présentant la
pointe de sa rapière.
À ce moment-là, il n’avait qu’une crainte : c’est que le
colosse ne s’obstinât à garder la jeune fille dans ses bras, ce qui
l’eût fort embarrassé.
Heureusement, l’intelligence du colosse était loin d’égaler sa
force. Exaspéré par les paroles de Pardaillan, il posa rudement la
jeune fille à terre et se rua tête baissée, l’épée haute.
En même temps que lui, Centurion, Barrigon et les autres
attaquèrent. Pardaillan eut devant lui un cercle d’acier qui
cherchait de toutes parts à l’atteindre. Il dédaigna de s’en
occuper.
Il porta toute son attention sur Barba-Roja, pensant, non sans
raison, que le chef atteint, les autres ne compteraient plus. Et
d’un coup droit, foudroyant, presque au jugé, il se fendit à
fond.
Barba-Roja, traversé de part en part, leva les bras, laissa
tomber son épée et se renversa comme une masse en rendant des flots
de sang.
Un instant, il talonna le sol à coups furieux, puis, il se tint
immobile : il était mort.
Alors Pardaillan se tourna vers Centurion. Il sentait que
celui-là, comme Barba-Roja, agissait pour son compte personnel.
Celui-là avait aussi une haine à satisfaire.
Ce ne fut pas long. D’un coup de pointe, il atteignit Centurion
à l’épaule, d’un coup de revers il enleva une partie de la joue de
Barrigon, qui le serrait de trop près.
Il y eut un double hurlement suivi d’une double chute, et
Pardaillan n’eut plus devant lui que les treize, lesquels, se
battant uniquement pour gagner honnêtement l’argent qu’on leur
donnait, étaient loin de montrer la même ardeur que les trois chefs
qui venaient d’être mis hors de combat.
D’ailleurs, nous avons expliqué que ceux-là étaient battus
d’avance, démoralisés qu’ils étaient de se trouver aux prises avec
un adversaire qu’ils n’étaient pas éloignés de prendre pour le
diable en personne.
– À qui le tour ? lança Pardaillan d’une voix
tonnante. Qui veut tâter de « Giboulée » ?
Et aussitôt deux hurlements attestèrent que deux hommes avaient
tâté de Giboulée.
Les treize, en effet, avaient eu cette suprême pudeur de tenter
pour la forme – une illusoire résistance.
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