Les amours du Chico
plus tard, José sortit de l’auberge
conduisant par la bride un vigoureux cheval attelé à une petite
charrette. Dans la charrette, étendues sur des bottes de paille,
bien enveloppées dans de grandes mantes noires dont les capuchons
étaient rabattus sur la figure, étaient la petite Juana et sa
nourrice Barbara. Et le palefrenier José, marchant d’un bon pas à
côté du cheval, prit le chemin de la porte de Bib-Alzar…
Le même chemin que venait de prendre Pardaillan.
*
* *
Le château fort de Bib-Alzar, construction massive et trapue,
véritable nid de vautours, remontait à l’époque des grandes luttes
contre les Maures envahisseurs.
Suivant les règles du temps, concernant l’art de la
fortification, il était bâti sur une éminence. Ses tours crénelées,
dressées menaçantes vers le ciel étaient dominées par la masse
centrale du donjon, lequel était surmonté, au nord et au midi, de
deux échauguettes en poivrière : yeux monstrueux ouverts sur
l’horizon qu’ils scrutaient avec une vigilance de tous les
instants.
Présentement, par suite de l’anéantissement complet et définitif
de la domination arabe, le château fort était devenu résidence
royale, que le souverain n’honorait pas souvent de sa présence.
Comme dans toute résidence royale, il y avait là une petite
garnison et de nombreux serviteurs. Les uns et les autres
saisissaient avec empressement toutes les occasions de se rendre à
la ville proche.
Ceux qui ne pouvaient s’offrir cette distraction s’efforçaient
de tuer le temps en buvant et en jouant.
C’était la vie de garnison morne et ennuyeuse, sans aucun des
imprévus du temps de guerre qui du moins tiennent le soldat en
haleine et font passer le temps, et il y avait beau temps que les
échauguettes n’avaient abrité le moindre veilleur.
En ce moment surtout, grâce à la présence du roi à Séville,
l’ennui pesait plus que jamais sur la garnison, attendu qu’il était
interdit sous peine de mort de sortir du château, sous quelque
prétexte que ce fût, à moins d’un ordre formel du roi ou du grand
inquisiteur.
Cette défense, bien entendu, ne concernait que les officiers et
soldats, et non les serviteurs.
La grand’route passait au pied de l’éminence que dominait le
château. Là, elle bifurquait et un sentier, assez large pour
permettre à la litière royale de passer, mieux aménagé et entretenu
que la route même, grimpait en serpentant le long de l’éminence et
aboutissait au pont-levis. C’était le seul chemin visible qui
permettait d’aboutir du château à la route.
Il devait certainement y avoir d’autres voies souterraines qui
permettaient de gagner la campagne, mais personne ne les
connaissait, à part le gouverneur, et encore n’était-ce pas bien
sûr.
Telles étaient les explications que Chico avait données à
Pardaillan. Lorsqu’ils arrivèrent au pied de l’éminence, il était
un peu plus de dix heures.
Pardaillan était donc en avance de près d’une heure sur l’heure
que lui avait indiquée d’Espinosa. Mais il avait jugé plus prudent
de se trouver sur les lieux un peu plus tôt, afin de les étudier
d’abord, ensuite pour parer à toute éventualité.
D’un coup d’œil expert il eut tôt fait de se rendre compte de la
disposition et vit avec satisfaction que toute personne qui
sortirait de la forteresse devait passer forcément devant lui. Donc
il était impossible qu’on emmenât la Giralda sans qu’il la vît.
Il savait que Barba-Roja ne tenterait rien contre la fiancée de
don César tant qu’elle se trouverait dans la royale demeure. Il
était bien tranquille à ce sujet.
Il n’avait donc qu’à attendre patiemment la sortie du colosse et
si, par suite de circonstances imprévues, cette sortie ne
s’effectuait pas, il était résolu à aller appeler au pont-levis et
pénétrer dans la place. Là, il verrait.
En attendant, il plaça le Chico en sentinelle, derrière un
quartier de roche, dans un endroit assez éloigné de la porte
d’entrée.
Il n’avait nullement besoin de faire surveiller cet endroit,
mais il tenait à ce que le petit homme qui, en tant que combattant,
ne pouvait lui être d’aucune utilité, ne se trouvât pas exposé
inutilement.
C’est pourquoi il le plaçait là, en lui recommandant
formellement de ne pas bouger tant qu’il ne l’appellerait pas.
Après quoi, tranquille de ce côté, il vint se poster à quelques
toises du pont-levis, en se dissimulant
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